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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Le comte de Foix dont je parle étoit en Béarn en la marche d’Ortais, et allé jouer, ébattre et chasser ès bois de Sauve-Terre sur le chemin de Pampelune en Navarre, et avoit, le jour qu’il dévia toute la matinée, jusques à la haute nonne chassé après un ours, lequel ours fut pris. La prise de l’ours vue et la curée faite, jà étoit basse nonne. Si demanda à ceux qui étoient de-lez lui où on avoit appareillé le dîner ; on lui répondit à l’hôpital d’Érion à deux petites lieues d’Ortais : « Bien, dit-il, allons là dîner, et puis sur le soir à la freschière nous chevaucherons vers Ortais. » Tout ainsi comme il fut dit il fut fait ; ils s’en vinrent tout le pas chevauchant au village dessus nommé. Le comte de Foix descendit à l’hôtel, et ses gens aussi descendirent.

    Bibliothèque particulière du Roi, au Palais-Royal, qui est aussi des plus rares et des mieux exécutés.


    Ci commence le Prologue du livre de la chasse que fit le comte Phœbus de Foix et seigneur de Béart.

    « Au nom et en l’honneur de Dieu, le créateur et seigneur de toutes choses, et de son benoist fils Jésus-Crist, et du Sainct Esperit, et de toute la Saincte Trinité et de la Vierge Marie, et de tous les saincts et sainctes qui sont en la grâce de Dieu ; je, Gaston, par la grâce de Dieu, surnommé Phœbus, comte de Foys, seigneur de Béart, qui tout mon temps me suis délité par espécial en trois choses : l’une est en armes, l’autre est en amours, et l’autre si est en chasse ; et des deux offices il y a eu de meilleurs maistre trop que je ne suy, car trop de meilleurs chevaliers ont esté que je ne suy : et aussi moult de meilleures cheances d’amours ont eu trop de gens que je n’aye, pour ce seroit grant niceté si je en parloye. Mais je remet aux deux offices d’armes et d’amour, car ceux qui les vouldront suivir à leur droit y apprendront mieuls de fait que je ne le pourrois deviser par parole, et pour ce m’en tairay : mais du tiers office, de qui je ne doubte que j’aye nul maistre, combien que ce soit vantance, de cellui vouldrois-je parler ; c’est de chasce. Et mettrai par chapitres de toutes natures de bestes, et de leurs manières et vie que l’en chasce communément ; car aucunes gens chassent lyons, lyépars, chevriaulx et buefs sauvages ; et de ceux-là ne vueil-je pas parler. Car pou les chasse-l’en, et pou de chiens sont qui les chassent. Mais des aultres bestes que l’on chasce communément, et chiens chascent voulentiers, entens-je à parler, pour apprendre moult de gens qui veulent chascier et qui ne le scevent mie faire, ainsi comme ont par aventure la voulenté. Et parleray premièrement des bestes doulces qui viandent, pour ce qu’elles sont plus gentils et plus nobles ; et premièrement du cerf et de toute sa nature. Secondement du rangier et de toute sa nature. Tiercement du dain et de toute sa nature. Quartement du bouc et de toute sa nature. Quintement du cheval et de toute sa nature. Sextement du lièvre et de toute sa nature. Septenement du connil et de toute sa nature. Et après parleray de l’ours et de toute sa nature. Après du sanglier et de toute sa nature. Après du loup et de toute sa nature. Après du renard et de toute sa nature. Après du chat et de toute sa nature. Après du blaireau et de toute sa nature. Après de la loutre et de toute sa nature. Et par la grâce de Dieu, parleray de la nature des chiens qui chascent et prennent bestes ; et premièrement de la nature des allants. Secondement de la nature des lévriers. Tiercement de la nature des chiens courants. Quartement de la nature des chiens pour la perdrix et pour la caille. Quintement de toutes natures de chiens meslés, comme sont de mastins et d’allants, de lévriers et de chiens courants, et d’autres semblables. Et après parleray de la nature et manière que bon veneur doit avoir. Et fut commencé ce livre le premier jour de may, l’an de grâce de l’incarnation de Notre Seigneur que l’on comptoit mil trois cent quatre vingt sept. Et cest livre j’ai commencé à ceste fin que je vueil que chascuns saichent, qui cest livre verront, ou orront que de chasce je ose bien dire qu’il peut venir beaucoup de bien. Premièrement homme en fuit tous les sept péchiés mortels. Secondement homme en est mieulx chevauchant, et plus viste et plus entendant et plus appert, et plus aysié et plus entreprenant, et mieulx congnoissant tous pays et tous passages, et brief et court. Toutes bonnes coustumes et meurs en viennent et la salvation de l’âme. Car qui fuit les sept péchiés mortels, selon notre foi il devroit estre saulvé ; doncques bon veneur sera saulvé ; et en cest monde aura assez de joie, de liesse et de déduit, mais qu’il se garde de deux choses : l’une qu’il ne perde la congnoissance ne le service de Dieu, de qui tout bien vient, pour la chasce ; l’autre qu’il ne perde le service de son maistre ne les propres besongnes qui plus lui pourroient monter.

    « Ore te prouveray comment bon veneur ne peut avoir nul des sept péchiés mortels. Premièrement tu sais bien que ocieuseté est cause de tous les sept péchiés mortels ; car quand homme est oyseux, négligent, sans travail, et n’est occupé à faire aucune chose, et demeure en son lit ou en sa chambre, c’est une chose qui tire à ymaginacion du plaisir de la char ; car il n’a cure fors que de demourer en un lieu, et penser en orgueil, ou en avarice, ou en yre, ou en paresse, ou en goule, ou en luxure, ou en envie. Car les ymaginacions de l’homme vont plus tost à mal que à bien par les trois ennemis qu’il a : c’est le diable, le monde, et la char. Donc est assez prouvée mon intention, combien qu’il ait trop d’aultres raisons. Mais elles seroient trop longues à dire ; et aussi chascun qui a bonne raison scet bien que ocieuseté est fondement de toutes males ymaginacions. Ore te prouveray comment ymaginacion est seigneur et maistre de toutes œuvres bonnes ou mauvaises que l’en fait, et de tout le corps et membres de l’homme. Tu scés bien que oncques œuvre bonne ou mauvaise, soit petite ou grande, ne se fist que premier ne fût imaginée et pensée ; donc elle est maistresse ; car selon ce que l’ymaginacion commande l’en fait l’œuvre bonne ou mauvaise, quelle que soit comme j’ay dit. Et se ung homme, pour quant que fust sage, ymaginât toujours qu’il estoit fol, ou qu’il eust aultre maladie, il le seroit ; car puisque fermement le cuideroit, il feroit les œuvres de fol, ainsi comme son imaginacion le commanderoit, et le cuideroit fermement. Si me semble que assez j’ay prouvé d’ymaginacion, combien que moult d’aultres raisons y ait, les quelles je laisse par la longueur de l’escripture, et pour