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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/187

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LIVRE IV.

nom de roi, mais des besognes touchant et appartenant à la couronne de France, on ne fit que trop petit pour lui ; et vouloient les dessus dits tout voir et savoir. La duchesse de Bourgogne étoit la seconde de la roine ; dont la duchesse d’Orléans n’étoit pas joyeuse, car elle prenoit volontiers les honneurs, et disoit ainsi à celles de son secret : « La duchesse de Bourgogne ne peut, ni nullement ne doit, par nulle condition devant moi venir à la couronne de France, car j’en suis plus prochaine qu’elle ne soit ; monseigneur mon mari est frère du roi : encore pourroit avenir qu’il seroit roi et moi roine ; je ne sçais pourquoi elle s’avance de prendre les honneurs et nous met derrière. »

Nous nous souffrirons à parler de ces dames quant à présent, et parlerons des ordonnances de France et de messire Olivier de Cliçon, connétable de France, comment il fut mené et traité.

Vous avez bien ouï recorder comment il fut ajourné en parlement par quinzaines, et aussi comment il fut envoyé quérir et mandé par les chevaliers de France messire Philippe de Savoisis et autres, qui furent en Bretagne ; et le quérirent et demandèrent en toutes places, et point ne le trouvèrent ; car il se cela à cautelle, et point ne se voulsist laisser trouver ; car si ceux qui envoyés y furent l’eussent vu et parlé à lui et ajourné de main mise, ils eussent fait ce que ordonné et commandé leur étoit. À leur retour en France, et eux fait la vraie relation de leur voyage, parlementé fut et arrêté, de par la chambre et les seigneurs de parlement, que messire Olivier de Cliçon étoit tout forfait, et que il seroit banni et expulsé hors de tous services et offices, et perdroit ses héritages par tout où ils les avoit, au ressort et domaine du royaume de France ; et au cas que on l’avoit sommé par lettres ouvertes, scellées du grand scel de la chambre de parlement, et mandé qu’il renvoyât le martel, c’est à entendre l’office de la connétablie de France, et que point ne l’avoit fait, mais désobéi, l’office vaquoit. Si regardèrent les ducs de Berry et de Bourgogne et leurs consaulx, qui tous étoient contraires au seigneur de Cliçon, et qui ne vouloient fors sa destruction, que on y pourvoieroit et que l’office de la connétablie de France étoit de si noble condition et de si grande renommée, que il ne pouvoit longuement être sans gouverneur, pour les incidences qui en pouvoient venir. Si fut avisé que le sire de Coucy feroit bien cet office ; et y étoit propre et idoine, et lui fut parlé ; mais il se excusa grandement ; et dit que jà ne le feroit ni s’en entremettroit, pour partir du royaume de France. Quand on vit qu’il n’y vouloit entendre, on regarda d’autre part.

CHAPITRE XXXIV.

Comment le mariage fut traité de messire Philippe d’Artois, comte d’Eu et madame Marie de Berry, veuve, fille au duc de Berry, et comment lui fut baillée la charge de la connétablie de France et ôtée à messire Olivier de Cliçon.


En ce temps étoit en traité de mariage messire Philippe d’Artois, pour avoir la jeune veuve, madame Marie de Berry, qui ci-dessus est nommée comtesse de Dunois, et qui eut à mari Louis de Blois, si comme vous savez ; et eût volontiers vu le roi de France que son cousin dessus dit fût parvenu à ce mariage ; mais le duc de Berry ne s’y assentoit point, car petite chose est de la comté d’Eu, au regard du premier mariage que sa fille avoit eu. Et la pensoit bien à plus haut marier, car à voir dire, la dame en tout cas le valoit bien de beauté, bonté et de tout ce qu’il appartenoit à une haute et noble dame. Toutefois le duc de Berry, au fort et à tout conclure, n’eût osé courroucer le roi ; et bien savoit le roi que le dit duc de Berry étoit prié et requis de plusieurs, pour avoir sa fille en mariage, du jeune duc de Lorraine, du comte d’Armignac, de l’aîné fils du comte de Foix et de Béarn ; et tous ces mariages brisoit le roi, et disoit à son oncle : « Bel oncle de Berry, nous ne voulons pas que vous nous éloigniez notre cousine, votre fille, des fleurs de lys, nous lui pourvoirons un mariage bon et bien séant pour elle, car nous la véons volontiers de-lez nous ; et bien affiert être de-lez notre belle ante de Berry, car elles sont presque d’un âge. »

Ces paroles et autres refroidoient le duc de Berry à non accorder sa fille, ni convenancer nulle part ; et véoit bien que le roi s’inclinoit, tout considéré, à leur cousin messire Philippe d’Artois, qui étoit jeune chevalier et de grand’volonté, et jà avoit moult travaillé en armes et outre mer, et fait plusieurs beaux et hauts voyages, lesquels on recordoit et tenoit à grand’vaillance ; et étoit moult en la grâce et amour