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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/207

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LIVRE IV.

parolé à eux, pourtant que ils se connoissoient, car ils étoient ainsi que d’un pays et d’une frontière et des tenures du roi d’Angleterre, et dit ainsi :

« Quand le duc de Lancastre vint premièrement en Aquitaine, pourvu de lettres grossées et scellées du grand scel du roi d’Angleterre, chancelées et passées par le décret et accord des prélats, barons et de tous ceux d’Angleterre auxquels il en appartenoit à parler et ordonner, et par espécial au duc Aimond d’Yorch, comte de Cantebruge et au duc Thomas de Glocestre, comte de Buck et d’Excesses, qui à ces héritages pouvoient retourner par la succession de leur neveu le roi Richard d’Angleterre, qui pour lors n’avoit nuls enfans, car les deux ducs dessus nommés étoient frères germains de père et de mère au duc de Lancastre, et il envoya une partie de son conseil en la cité de Bordeaux, pour remontrer au maire de Bordeaux et aux consaux de la ville la forme de sa requête, et pour quelle cause il étoit venu au pays, si leur tourna à grand’merveille. Nonobstant ce, ils honorèrent grandement et de bon cœur les commis du roi d’Angleterre et du duc de Lancastre, pour l’honneur du roi à qui ils doivent service et toute obéissance ; et demandèrent à avoir conseil de répondre. Ils l’eurent, et se conseillèrent. Eux conseillés, ils répondirent, que le duc de Lancastre, fils du roi Édouard de bonne mémoire, qui leur seigneur avoit été, fût le bien venu entre eux et non autrement ; mais pas n’étoient conseillés si avant que le recueillir à souverain seigneur, car le roi Richard leur sire, à qui ils avoient fait féauté et hommage, ne leur avoit encore fait nulle quittance. Dont répondirent les commis de par le duc de Lancastre, que de tout ce ils se faisoient forts assez, et le duc leur seigneur reçu, parmi le contenu des lettres que le roi d’Angleterre leur envoyoit, il n’en seroit jamais question. Quand ceux de Bordeaux virent qu’ils étoient approchés de si près, si trouvèrent un autre recours, et dirent ainsi : « Seigneurs, votre commission ne s’étend pas seulement à nous, mais à ceux de la cité de Dax et de Bayonne, et aux prélats et barons de Gascogne, qui sont en l’obéissance du roi d’Angleterre. Vous vous trairez devers eux ; et tout ce qu’ils en feront et ordonneront, nous le tiendrons. » Autre réponse ne purent avoir à ce premier les commis du duc de Lancastre de ceux de Bordeaux ; et se départirent de Bordeaux, et s’en retournèrent à Liborne, où le duc étoit.

« Quand le duc de Lancastre ouït la réponse de ceux de Bordeaux, si pensa moult sus et imagina tantôt que les besognes pour lesquelles il étoit venu au pays, ne seroient pas sitôt achevées comme de premier il supposoit et lui avoit-on donné à entendre. Nonobstant ce, il envoya son conseil vers la cité de Bayonne. Et furent recueillis des Bayonnois pareillement comme ils avoient été de ceux de Bordeaux, et n’en pouvoient avoir autre réponse. Finablement tous les prélats, les nobles, les consaux des cités et bonnes villes de Gascogne, de l’obéissance du roi d’Angleterre, se conjoindirent ensemble et se cloirent sur la forme et manière que je vous dirai. Bien vouloient recueillir en leurs cités, châteaux et bonnes villes le duc de Lancastre, comme le fils du roi Édouard de bonne mémoire et oncle au roi Richard d’Angleterre, et au recueillir et à l’entrer aux forteresses lui faire jurer solemnellement que paisiblement et débonnairement lui et les siens entre eux se tiendroient et demeureroient sans en rien efforcer, et leurs deniers payeroient de tout ce qu’ils prendroient, ni jà la juridiction de la couronne d’Angleterre le duc de Lancastre ne oppresseroit ni feroit oppresser, par quelque voie ni action que ce fût. Bien répondoit le duc de Lancastre à ces paroles, et disoit qu’il n’étoit pas venu au pays pour grever ni oppresser le peuple, mais le vouloit garder et défendre contre tout homme, ainsi comme son héritage ; et prioit et requéroit que le commandement du roi d’Angleterre, ainsi qu’il étoit, fût accompli.

« Le pays, de voix commune, tant que à celle partie, répondoit et disoit que jà de la couronne d’Angleterre ne se départiroient ; ni point n’étoit au roi d’Angleterre ni en sa puissance d’eux donner ni mettre à autre seigneur que lui. Ces demandes et défenses furent proposées moult longuement entre le duc de Lancastre et les dessus nommés de Gascogne ; et quand le duc de Lancastre vit qu’il n’en auroit autre chose, il fit requête au pays que les nobles, les prélats et les consaux des cités et bonnes villes voulsissent envoyer en Angleterre devers le roi et son conseil, et il y envoieroit aussi de son conseil si notablement que bien devroit suffire ; et tout ce