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LIVRE IV.

Robert l’état de son oncle de Glocestre et tout ce qu’il y avoît trouvé ; et Robert lui en répondit bien et à point. Bien savoit le roi d’Angleterre que le duc de Glocestre ne s’inclineroit jà à la paix tant qu’il pût, et que plus aimoit la guerre que la paix. Si tenoit en amour tant qu’il pouvoit ses deux autres oncles, les ducs de Lancastre et d’Yorch, et plusieurs prélats et barons d’Angleterre, desquels il pensoit à être servi et aidé.

Quand Robert l’Ermite eut été environ un mois de-lez le roi d’Angleterre et les seigneurs, il prit congé et s’ordonna pour partir. À son département le roi d’Angleterre, pour l’amour et honneur du roi de France qui là l’avoit envoyé, lui donna grands dons et beaux ; et aussi firent les ducs de Lancastre et d’Yorch, les comtes de Hostidonne et de Salsebry et messire Thomas de Percy ; et le fit le roi reconvoyer jusques à Douvres ; et là monta et trouva le roi et la roine et ses oncles à Paris. Si se trait devers eux et recorda au roi de son voyage comment il avoit exploité, et de la bonne chère que le roi d’Angleterre lui avoit fait.

Presque toutes les semaines avoit messagers de France et d’Angleterre allans et retournans de l’un roi à l’autre, qui s’escripsoient doucement et aimablement l’un à l’autre. Et ne désiroit autre chose le roi d’Angleterre qu’il pût parvenir par mariage à la fille du roi de France ; et le roi de France espécialement y avoit très bonne affection, car avis lui étoit que sa fille seroit grande assez, si elle étoit roine d’Angleterre.

CHAPITRE XLV.

De la délivrance du seigneur de la Rivière et messire Jean le Mercier, comment ils furent mis hors de prison.


Vous avez bien ci-dessus ouï recorder comment le sire de la Rivière et messire Jean le Mercier furent démenés et pourmenés de chastel à autre et de prison à autre, et en la fin rendus au prévôt du Châtelet de Paris ; et furent sur le point que de perdre corps et vies ; et tout par haines et envies, que les ducs de Berry et de Bourgogne avoient, et leurs consaux, sur eux ; et furent en ce danger plus de deux ans ; et à peine les pouvoit aider le roi de France. Et la plus grand’aide que on leur faisoit étoit que le roi ne vouloit point qu’ils fussent traités à mort. Aussi les ducs de Berry et de Bourgogne et leurs consaux véoient bien que le duc d’Orléans leur aidoit tant qu’il pouvoit. La duchesse de Berry étoit bonne moyenne envers son seigneur pour eux, et par espécial pour le sire de la Rivière ; et on ne vouloit point condamner l’un sans l’autre, car ils étoient tenus et accusés pour une même cause. Les prières des bonnes personnes, avecques le grand droit qu’ils avoient, les aida grandement. Et fut regardé, parmi ce que plusieurs hauts barons du royaume de France en eurent pitié, et que trop de pénitence avoient eu et souffert en prison, que on leur feroit grâce et allégeance ; car, par espécial, messire Jean le Mercier, avoit tant pleuré en prison, dont il étoit si débilité de sa vue que à peine véoit-ii ; et couroit commune renommée parmi le royaume de France et ailleurs que il étoit aveugle. Si eurent sentence pour eux telle que je vous dirai. Le roi de France, pour quelle cause[1] on leur donnoit à entendre que on les tenoit en prison, leur faisoit grâce, car il mettoit en souffrance leur mesfait, tant que plus avant et mieux il en seroit informé. Et étoient rendus au seigneur de la Rivière toutes ses terres et châteaux, et premièrement le bel châtel d’Anvaux, qui séoit en Chartrois sur les marches de Beauce. Mais lui revenu en Anvaux, il ne devoit jamais repasser la rivière de Seine, si il n’étoit rappelé de la bonté du roi ; et messire Jean le Mercier retournoit au pont de Nouvion, en sa belle maison en Laonnois ; et lui revenu là, il ne devait jamais repasser les rivières d’Oise, d’Esne, de Marne, ni de Seine, si il n’étoit aussi rappelé de la bonté du roi. Et avec tout ce ils s’obligeoient à aller en prison fermée, là où on leur diroit et requis en seroient suffisamment de par le roi ou ses commissaires. Les deux seigneurs dessus nommés tinrent cette grâce à bonne et à belle, quand ils sçurent qu’ils seroient délivrés du Châtelet. Et furent hors mis ; et cuidèrent, à leur issue, aller parler au roi et remercier de la grâce qui faite leur étoit, mais ils ne purent ; et les convint tantôt vider et partir de Paris, et aller ès lieux et termes qui ordonnés leur étoient. Ainsi eurent-ils leur délivrance, dont ceux qui les aimoient-furent réjouis.

  1. Pour la cause duquel.