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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ces choses faites et avenues avoient ses gens grands merveilles ; et bien le devoient avoir, car en devant il n’eût déporté homme, varlet ni autre, de par le duc, qui tantôt n’eût été mort ou mis en prison douloureuse.

Quand messire Olivier de Cliçon fut entré en sa chambre, il commença moult fort à penser et à busner sur ces nouvelles ; et ce lui brisoit grandement ses maltalens, pour ce que le duc se humilioit tant envers lui que si doucement lui escripvoit ; et dit ainsi à soi-même qu’il le voudroit éprouver, car sur cette lettre, promesse, ni paroles qui dedans fussent escriptes il ne se osoit assurer ; et si mal lui en prenoit, il ne seroit de nulluy plaint. Il dit qu’il rescriproit à lui, et là où il lui voudroit envoyer son fils, qui ôtage fût pour lui, il iroit parler à lui là où il lui plairoit et non autrement. Adonc escripsit messire Olivier de Cliçon unes lettres moult douces et traitables au duc, mais la conclusion étoit telle que, si il vouloit qu’il allât parler à lui, il lui envoyât son fils en pleige et en ôtagerie et il seroit bien gardé jusques à son retour. Cette lettre fut escripte, scellée et baillée au varlet du duc, lequel se mit au retour et vint à Vannes, là où le duc l’attendoit. Il lui bailla les lettres de messire Olivier de Cliçon ; le duc les prit, les ouvrit et les legit : quand il vit le contenu, il pensa un peu, et puis dit : « Je le ferai. Au cas que je traite amoureusement à lui, toute conjonction d’amour y doit être. » Tantôt il escripsit devers le vicomte de Rohan, qui se tenoit au Caire, un châtel en la marche de Vannes. Quand le vicomte vit les lettres du duc, tantôt il vint à Vannes. Lui venu, le duc lui remontra toute son intention et lui dit : « Vicomte, vous et le comte de Montbourchier mènerez mon fils à Chastel-Josselin et le laisserez là, et m’amènerez messire Olivier de Cliçon, car je me veuil accorder avecques lui. » Le vicomte répondit, et dit que tout ce il feroit volontiers.

Depuis ne demeura guères de jours que le vicomte et le sire de Montbourchier et messire Yves de Treseguidy amenèrent l’enfant, qui pouvoit avoir environ sept ans, à Chastel-Josselin, à messire Olivier de Cliçon, qui les recueillit et honora grandement. Quand il vit l’enfant et la bonne affection du duc, il se humilia grandement, avec ce que les trois chevaliers lui dirent : « Sire, vous véez la bonne volonté du duc, il ne montre rien deforainement que le cœur et la bonne affectation n’y soit. » — « Je le vois bien, répondit messire Olivier ; et pourtant que je aperçois la bonne volonté de lui, je me mettrai si avant que tenu serai en son obéissance. Et vous, qui êtes assez prochains de lui et ès quels il a grand fiance, quand il vous a baillé son héritier pour moi amener et ici laisser en ôtage tant que je sois retourné, je ne sçais s’il vous a dit ce dont il m’a escript et scellé dessous son signet ? » Donc, répondirent les chevaliers et tous d’une voix : « Sire, il nous a bien dit qu’il a très grand désir de venir à paix et à concorde devers vous ; et de ce nous pouvez-vous bien croire, car nous sommes de votre sang. » — « Je vous en crois bien, » répondit messire Olivier. Et adonc alla quérir la lettre que le duc lui avoit envoyée et leur legit. Quand ils l’eurent ouï, ils répondirent et dirent : « Certes, sire, tout ainsi comme celle lettre contient le nous a-t-il dit, et sur cel état nous a-t-il mandés, et ici envoyés. » — « Or vaut mieux », répondit messire Olivier de Cliçon.

Depuis eux venus, les trois chevaliers qui l’héritier du duc de Bretagne avoient amené, messire Olivier de Cliçon s’ordonna et se mit en arroi ; puis se partit du Chastel-Josselin avecques les trois chevaliers et remit l’enfant en leur compagnie, et dit qu’il le ramèneroit à son père le duc ; car bien se fioit d’ores-en-avant au duc et en ses paroles, quand il l’avoit éprouvé si avant ; dont ce fut grand’humilité. Mais si comme il disoit : « En bonne paix, concorde et amour ne doit avoir nul ombre de trahison ni dissimulation ; mais doivent les cœurs concordans être tout d’une unité. »

Tant chevauchèrent tous ensemble qu’ils vinrent à Vannes. Et avoit le duc ordonné que messire Olivier de Cliçon descendroit en une église de frères prédicateurs, laquelle siéd au dehors de Vannes ; et là viendroit le duc parler à lui. Ainsi comme fut ordonné fut fait ; et quand le duc vit que messire Olivier avoit ramené son fils en sa compagnie, si le tint à très grand’courtoisie et s’en contenta grandement. Puis vint de son chastel de la Mote parler à messire Olivier de Cliçon en la maison de ces frères ; et s’enfermèrent ensemble en une chambre ; et là s’entre acointèrent de paroles ; et puis issirent hors par les jardins derrière, et vinrent sur un rivage qui