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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

pape Boniface, et traiteroit devers lui, de par ces deux rois dessus nommés, que il se voulsist soumettre à entendre à faire une autre élection de pape ; et si droit avoit, en ce cas il demeureroit pape ; et si le contraire étoit vu ni trouvé, il se déporteroit ; et chacun de ces deux papes qui rebelle seroit à l’ordonnance des deux dessus dits rois, il seroit dégradé ; et lui seroient clos tous droits de l’église ; et prendroit le roi de France sur lui : son fils le roi d’Angleterre, le roi d’Escosse, le roi Henry d’Espaigne, le roi Jean de Portingal, le roi Charles de Navarre et le roi d’Arragon ; et le roi d’Allemagne prendroit sur lui : son frère le roi Louis de Honguerie et tout le royaume de Bohême, et toute l’Allemagne jusques en Prusse, pour amener à leur volonté. Et fut ordonné et accordé des deux rois d’Allemagne et de France, que l’évêque de Cambray retourné de Rome, et sommé ce pape Boniface de leur intention, ils se tourneroient, leurs conjoints et adhérens, et les royaumes et pays dessus nommés ; et ainsi le jurèrent à faire et tenir les deux rois, sans jamais y mettre variation ni empêchement ; et se définèrent leurs consaux sur cel état ; et se départirent aimablement ces rois, seigneurs et consaux les uns des autres, et issirent de la cité de Reims, et retourna chacun en son pays.

À ces assemblées et consaux qui furent en celle saison en la cité de Reims, oncques le duc de Bourgogne ne fut ni voult être ; et bien avoit dit en devant que on perdoit toutes ses peines et ce que on mettoit en ces Allemands ; car jà n’entendroient chose qu’ils eussent promis ni convenancé. Néanmoins, pour chose que le dit duc dît, rien ne fut laissé à faire, comme il appert par l’ordonnance qui faite en fut tout au long, ainsi que vous avez ci-dessus ouï recorder. Assez tôt après, maître Pierre d’Ailly, évêque de Cambray, ordonna ses besognes et se mit au chemin pour faire sa légation et aller à Rome, ainsi que ordonné et dit étoit des consaux et accordé des deux rois d’Allemagne et France dessus nommés. Avec tout ce, le roi de France envoya grands messages en Angleterre pour voir le roi Richard, lequel il tenoit à fils, et sa fille ; et portoient nouvelles ces messages que le roi d’Angleterre se voulsist déterminer à ce que le roi de France et les François avoient ordonné et accordé. Quand ces seigneurs ambaxadeurs de France furent venus en Angleterre, ils furent recueillis du roi joyeusement ; et quand il vit l’état dont son grand seigneur le roi de France lui prioit si acertes qu’il se voulsist allier avecques lui et tourner son royaume à son opinion, par quoi il fût neutre si il besognoit, si ces deux papes ne se vouloient soumettre à l’intention du roi de France, du roi d’Allemagne et de leurs consaux, il en répondit tantôt et dit, qu’il auroit tel son royaume et ses gens qu’ils feroient tout ce qu’il lui plairoit. Et ce dit-il premièrement pour complaire à ces ambaxadeurs françois qui moult se contentèrent de celle réponse. Et quand ils eurent séjourné lez le roi et la roine tant que bon leur sembla, ils prirent congé au dit roi et à la jeune roine d’Angleterre, et s’en retournèrent arrière par Boulogne en France, et recordèrent tout ce qu’ils avoient vu et trouvé. Si furent ces nouvelles moult plaisans au roi de France et à son conseil, et demourèrent les choses en cel état une pièce.

Le roi Charles de Navarre, qui étoit venu voir son cousin le roi de France, et qui bien cuidoit retourner et recouvrer son héritage de Normandie et la comté d’Évreux, laquelle de fait et de force le roi de France lui avoit ôté et tollu et détenoit, ainsi que dit et contenu est en plusieurs lieux ci-dessus en celle histoire, n’y put retourner ni revenir, par quelconque voie ni manière qu’il ni ses consaux pussent dire, proposer ni remontrer. Et quand le dit roi de Navarre vit qu’il perdoit sa peine et labouroit en vain, si lui tournèrent toutes ces choses en grand’déplaisance, et prit congé au plus sobrement qu’il put, mal content du roi de France et de son conseil, et retourna arrière au royaume de Navarre.

Nous nous souffrirons à parler des rois de France, d’Allemagne et de Navarre, et parlerons des autres accidens qui s’émurent en Angleterre, dont ce furent toutes générations de si grands maux que les œuvres pareilles ne sont point escriptes, dites, ni remontrées en celle histoire. Et bien direz que c’est vérité quand je serai venu jusques à là. Et veci l’entrée et commencement de la matière.