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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

car le roi de France et les François me font, ont fait et feront, ce disent, tant que je voudrai ci demeurer, à mon honneur, compagnie et courtoisie ; et si de fait, sur les paroles et promesses que vous et les Londriens mes bons amis me dites et promettez, il faudra que je me allie et convenance du tout à leur volonté, et que le roi Richard soit pris et détruit, de ce je serai encoulpé ; laquelle chose je ne ferois pas volontiers, si par autre voie et forme il se pouvoit faire. » — « Sire, répondit l’archevêque, je suis ci envoyé devers vous en espèce de bien ; appelez votre conseil et leur remontrez les paroles que je vous ai dites, et je leur remontrerai aussi ; je crois qu’ils ne vous conseilleront point du contraire. » — « Je le veuil, répondit le comte Derby, car telles choses demandent bien à avoir conseil. »

Adonc fit le comte Derby assembler son conseil, chevaliers et escuyers qui là étoient, èsquels il se confioit le plus. Quand ils furent venus et entrés en la chambre, le comte Derby fit au dit archevêque de Cantorbie recorder les paroles qui ci-dessus sont dites, lequel bien et à droit les forma moult sagement. Après, le dit comte en demanda conseil à ses hommes, à savoir quelle chose en étoit bonne à faire. Tous répondirent d’une suite et dirent : « Monseigneur, Dieu vous a regardé en pitié ; gardez-vous bien que jamais vous ne refusiez ce marché, car jamais vous ne l’aurez meilleur ni plus bel. Et qui veut bien escrutiner votre lignage, et dont vous venez et descendez, vous êtes du droit estoc en génération de saint Édouard, qui fut roi d’Angleterre. Remerciez vos bons amis les Londriens de ce qu’ils vous veulent ôter et délivrer de danger, et ont pitié de vos enfans et du royaume d’Angleterre qui gît en grand’désolation et a été un long temps ; et vous souvienne des torts et injures que ce Richard de Bordeaux vous a faits et ne se feint pas encore tous les jours de faire ; car quand le mariage de vous et de la comtesse d’Eu, madame Marie de Berry, fut sur le point d’être fait, Richard de Bordeaux envoya en France le comte de Salsebéry pour tout briser ; et fûtes nommé, en la présence du roi et des seigneurs, faux, mauvais et traître, lesquelles choses et paroles ne sont pas à pardonner, mais devez désirer comment vous en pourrez avoir vengeance. Si vous ne vous voulez aider, nul ne vous peut aider. Si ayez avis sur ce. »

CHAPITRE LXXII.

Comment le comte Derby prit congé au roi de France et s’en vint en Bretagne devers le duc son cousin.


Quand le comte Derby ouït parler son conseil si acertes et remontrer ses besognes par telle forme, si ouvrit tous ses esprits et dit : « Je ferai tout ce que vous voudrez, car pour avoir conseil, je vous ai ci mandés et assemblés. » Et ils répondirent : « Vous dites bien, et nous vous conseillerons à notre pouvoir loyalement, selon ce que la matière le requiert. » Depuis n’entendirent à autre chose fors à ordonner leurs besognes, si secrètement et couvertement que nul de ceux de l’hôtel, fors eux, ne savoient quelle chose on vouloit faire. Or fut là entre eux avisé et regardé comment ils pourroient repasser la mer avant que nulles nouvelles en fussent en Angleterre ; et avisèrent que de deux chemins il convenoit qu’ils prissent l’un, ou de venir en Hainaut en Hollande, et monter en la mer à Dordrecht ou aller en Bretagne devers le duc et de la monter en mer et arriver à Pleumoude[1], ou là où Dieu les voudroit mettre et mener. Tout considéré, ils regardèrent que le chemin de Bretagne leur étoit plus licite à faire que cil de Hainaut ni de Hollande ; et là fut dit au comte Derby : « Sire, vous irez prendre congé au roi, et le remercierez des grâces et courtoisies qui faites vous ont été par lui, et prendrez aussi congé à ses oncles, et les remercierez tous l’un après l’autre ; et quand vous aurez tout ainsi fait, vous prierez au roi qu’il vous baille conduit pour vous mener en Bretagne, car vous voulez aller voir le duc de Bretagne et demeurer une espace de temps avecques lui. » Le comte Derby s’accorda à tout ce dont on l’informa, et vint à Paris quand ses besognes furent ordonnées jusques au département. Et alla devers le roi, ainsi que accoutumé avoit quand il vouloit. Et toutefois qu’il y venoit, les portes et chambres du roi lui étoient ouvertes. À celle derraine fois il parla au roi moult sagement et ordonnément, ainsi que bien le savoit faire ; et dit qu’il vouloit aller jouer et ébattre en Bretagne et voir le duc qu’il appeloit son oncle, car il avoit eu à femme sa tante la sœur de son père, fille au roi Édouard. Le roi de France qui n’y pensoit que tout bien

  1. Plymouth.