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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/36

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Entre le roi de France et le comte Gaston de Foix, eux étant et séjournant en la cité de Toulouse, il y eut plusieurs traités et appointements d’amour ; et grand’peine y rendit le maréchal de France et le sire de la Rivière, pourtant que ils véoient que le roi s’y inclinoit et que volontiers il véoit le comte de Foix. Et devant ce, il leur avoit bien ouï recorder plusieurs grands vaillances et largesses du comte de Foix. Et aussi son oncle le duc de Bourbon le témoignoit. Le comte de Foix donna un jour à dîner au duc de Touraine, au duc de Bourbon, au comte de la Marche et à tous les seigneurs de France ; et fut ce dîner outre mesure grand et bel ; et grand’foison y eut de mets et d’entremets, et séants à table plus de deux cents chevaliers ; et servoient les chevaliers du comte de Foix. Et sur le point que les tables furent levées, le roi de France, qui avoit dîné au châtel de Toulouse, et messire Charles de la Breth, et messire Philippe de Bar, et ses deux cousins germains, ne se put tenir qu’il ne vînt voir la compagnie, et vint à l’hôtel de Foix lui douzième tant seulement. Le comte de Foix, de la venue du roi, pour ce que tant s’étoit humilié que de venir jusques a lui, fut trop grandement réjoui ; et aussi fut toute la compagnie. Si y eut plusieurs ébattements ; et s’éprouvoient ces Gascons et ces François à la lutte l’un à l’autre, ou à jeter la pierre, ou au traire la darde au plus loin et au plus haut ; et là furent jusques à la nuit que le roi et les seigneurs s’en retournèrent. Le comte de Foix donna ce jour aux chevaliers et écuyers du roi et du duc de Toulouse, et du duc de Bourbon, plus de soixante, que coursiers, que palefrois, que mulets, tous amblans, ensellés et apprêtés de tous points, ainsi comme à eux appartenoit ; et donna aux ménestrels du roi et du duc de Touraine, et du duc de Bourbon, deux cents couronnes d’or, et aux hérauts deux cents couronnes d’or. Aussi tous se louoient des largesses au comte de Foix. Au quatrième jour après vint le comte de Foix au palais du roi, bien accompagné de barons et chevaliers de Béarn et de Foix, pour voir le roi et pour faire ce qu’il appartenoit et dont il étoit requis, c’est à entendre hommage de la comté de Foix et des appendances, réservé la terre de Béarn. Et vous dis que en devant avoit eu grands traités entre le roi et le comte de Foix, par les moyens du conseil du roi, du seigneur de la Rivière et de messire Jean le Mercier, et de l’évêque de Noyon qui là étoit venu nouvellement d’Avignon ; mais les traités furent moult secrets. On disoit ainsi : que le comte de Foix requéroit au roi, que son fils messire Yvain de Foix fût après son décès héritier de toute la comté de Foix, parmi cent mille francs que le comte donnoit et ordonnoit au roi de France au jour de son trépas ; et messire Gratien son frère devoit tenir en Béarn la terre d’Aire, une bonne cité, et du Mont de Marsan : et toutes les terres acquises que le comte de Foix, tenoit, et la terre de Béarn, dévoient retourner à l’héritier, le vicomte de Castelbon. Ces assignations étoient en débat et en différend entre le comte, et les barons, et les chevaliers de son pays ; et disoient ainsi les plusieurs ; que ce ne se pouvoit bonnement faire sans tout le général conseil de Béarn et de Foix. Et pour cause de moyen, l’hommage fait de la comté de Foix au roi de France, le roi de France dit ainsi, par le conseil que il eut, au comte de Foix et aux barons de Foix : « Je tiens en ma main l’hommage de la terre de Foix ; et s’il avenoit que de notre temps la terre vaque par la mort et succession de notre cousin le comte de Foix, nous en déterminerons adonc si à point, et par si bon conseil que nous aurons, que Yvain de Foix et tous les hommes de Foix s’en contenteront. » Cette parole suffit bien au comte de Foix, et aux barons et chevaliers de Foix qui là étoient.

Ces ordonnances faites, écrites et scellées, le comte de Foix prit congé au roi de France et à son frère de Touraine et aux hauts seigneurs qui là étoient. Il lui donnèrent ; mais ce jour il dîna avecques le roi et puis retourna à son hôtel. À lendemain, après boire, il se départit de Toulouse et laissa ses fourriers derrière pour compter et payer partout ; et passa aux ponts à Toulouse le dit comte, la rivière de Gironde ; et retourna en son pays par le Mont de Marsan, et s’en revint à Ortais, et là donna congé à toutes ses gens qui accompagné l’avoient, et ne retint lez lui fors ceux qui lui besognoient.

Il me fut dit, et je le crois assez, que la venue du roi de France venant en la Languedoc et à Toulouse que vous avez ouï, coûta au comte de Foix plus de soixante mille francs ; et quel coutage qu’il y eut, le comte de Foix, qui fut large et courtois, les paya volontiers.