Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/446

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
440
RÉDACTION PRIMITIVE

Guillame de Douglas, le conte de Moret, le conte de Surlant, messire Robert de Versy et messire Simon de Fresel à tout ce qu’ils voroient prendre de gens, si demouraissent et costiassent les Englès en eulx adommagant. Et par ceste manière il porroient faire retraire leurs anemis, sans trop grande aventure de perte. Ce conseil fu tenus. Ainsi se partirent de l’ost des Escos, et retournèrent chascun en son lieu, et en ralant gastèrent plenté du pays sur frontière, affin que leurs anemis n’y trouvaissent aucun vivre. Si se retrayrent les Escos ès montaignes et ès forés ; et fu leur pays gastés d’eulx meismes ; et les seigneurs dessus dits, qui estoient ordonnés pour grever les Englès, les costièrent tousjours par les montaignes et passages où il savoient bien les chemins, et leur faisoient grant dommage. Or laisserons d’eulx ; si parlerons des Englès.

CHAPITRE LXXV.

Quant le roy d’Engleterre fu ou chastel de Rosebourc, il y reposa et y fist la feste de Tous-les-Sains ; et y donna moult de beaux et riches joiaux aux bons chevaliers, aux héraulx et aux trompettes. Au sixième jour s’en party et y laissa bonne capitaine, cent hommes d’armes et deux cens archiers. Puis chevaucha le roy devers Haindebourch, ung très bel chastel fort séant sur une montaigne ; mais ains qu’il y peuist parvenir heurent mains assaulx des Escos ; et aussi furent les Escos mainte fois rebouté de monseigneur Guillame de Montagu et de monseigneur Wautier de Maugny qui estoient deux compaignons ensamble. Ces deux rencontrèrent mainte fois les Escos. Ainchois que le roy Englès venist devant le chastel de Haindebourch, les marissaux de l’ost eurent couru toute la conté de Mare, et tout contreval le marine jusques à le ville Saint-Andrieu ; et puis repassèrent ung brach de mer, et s’en vinrent à une ville que on appelle Kinfery. Si l’ardirent, et prinrent l’avoir. De là alèrent à Donfremelin ; là eut moult grant assault ; mais les gens du pays y estoient retrais, qui bien le gardoient, et y fu durement navrés à ung assault le conte de Suffort, messire Édouwart le Despensier, messire Thomas Bisès, messire Ostes de Poncardon. Si s’en partirent à grant perte, et alèrent devers Haindebourch, et trouvèrent le roy séant devant à Dalquest, ung chastel à messire Guillame de Douglas, qui estoit fors et bien édifiés. Sy y avoit une grosse tour vostée qui ne doubtoit nul assault d’engien ne d’aultre chose ; et y avoit dedens le fort assez de bons compaignons pour le garder, et ung très bon capitaine et bon homme d’arme que on appeloit Patrix de Donbere ; et portoit d’argent à trois clefs de sable. Nullement le roy ne se voloit de là partir ; et y fu tout l’iver séant. Dont advint que, sur le printemps, ces seigneurs d’Engleterre étoient moult courouchiés qu’ils estoient là tant. Si s’avisèrent d’un soutil tour, car à ung matin ils firent armer huit de leurs varlés, en leurs proppres tourniquiaus et parés de leurs armes, et bien peu de gens avec eulx ; et avoient fait une embuse. Si s’en revinrent devant le pont ; avec eulx ung vallet vestu de riches parures en abit de héraut, et crioit : « Patrix ! Patrix ! regardez la belle aventure d’armes qui vous vient ! véchi ces nobles seigneurs qui her soir, après vin boire, voèrent que huy venroient à vous escarmuchier sans aultres gens. Se vous les poez desconfir, vous poez waingnier cent mille nobles. » Quant le chastellain oy ces parolles, et il recongnut les armes de ces grans seigneurs tous huit, qui bien cuidoit que ce fussent ils, si dist à ses compaignons : « Seigneurs, qui treuve saint Pierre à son huis, il n’a que faire d’aler à Romme ; vecy nostre heur, se nous sumes bonnes gens. Or, du bien faire ! car se nous les poons céens avoir, nous aurons l’onneur d’un des plus beaux faits d’armes dont on parla piechà. Avalons le pont et nous hastons. » Ainsi le firent et vinrent jus radement sur leurs chevaulx. Si se férirent sur eulx hardiement ; et ceulx se commencèrent à deffendre ung pau faintement, en reculant, et eulx laissier tirer et battre, et les aultres dirent : « Rendez-vous ! rendez-vous ! » Et il disoient : « Non ferons, non ferons. » Et entrues que ceux s’ensonnioient pour eulx tirer et mener prisonniers, Englès vinrent à cours de chevaulx sur le pont, et l’enforcèrent ; et ainsi fu Patrix pris et decheus soutillement, et tous ses hommes. Si entra le roy dedens, luy rafrescir, à grant joie ; puis le garny de gens et de vivres ; puis se party le roy et vint devant Haindebourch et l’asega de tous costés. Si y fist getter maintes pierres d’engien, et maint assault y fist ; dont pau y conquist, car il y avoit dedens très bonnes gens, et aussy le chastel estoit durement fors. Adont les fouragiers d’Engleterre, messire Guillame de Mon-