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BIOGRAPHIE

« De ceset ci, quant bien m’avise,
« Ensi qu’Ovides le devise. »
....................
Adonc m’anoia la saison
Pour ce que là tant sejournoie,
Et qu’ens ou lieu ne retournoie
Où j’avoie layé ma dame
Pour qui j’ai fait tamaint esclame,
Et sui encor près dou sentir
Sans moi de noient alentir.
Mès ou lieu et ens ou pays
Où je n’estoie pas hays
Avoie lors tant d’esbanoi
Que ce me brisoit mon anoi.
Non-pour-quant, quant bien m’avisoie
Et à ma dame je visoie,
Moult bien aillours estre vosisse.
Lors dis en moi : « Il fault que g’isse
« De ce pays ; trop y demeure ;
« R’aler m’en voeil ; il en est heure
« Et c’on voie que ci m’anoie.
« C’est bon qu’un petit m’esbanoie
« À faire un virelay tout ample
« Ensi que j’en ai bien l’example. »
..................
Lorsque j’ai fait le virelay,
À ma dame baillié je l’ai
Qui me tenoit en ce pays
Dont je n’estoie par hays.
Elle voit bien par la sentensce
Que mon coer ailleurs tire et pense.
Assez bien m’en examina
Et de moi tant adevina
Que fort estoie énamourés.
Or dis-telle : « Vous en irés.
« Si aurés temprement nouvelles
« De vo dame qui seront belles.
« D’or en avant congié vous donne :
« Mès je le voeil, et si l’ordonne,
« Qu’encor vous revenés vers nous. »
Et je qui estoie en genous
Li dis : « Madame, où je serai
« Vostre commandement ferai. »
Et là à mon département
Me donna dou sien grandement,
Se tant vous en volés savoir,
Chevaus et jeviaus et avoir
Qui puis me fisent moult de bien.
Je m’en revinc au pays mien
En bon estat et en bon point.
Dieu merci il ne falli point.
Et lorsque je fuis revenus,
À painnes fui-je descendus,
Quant devers celle je me trai
Qui de nos coers sçavoit l’atrai,
Laquelle moult me conjoï.
Ma venue le resjoy,
Et me demanda, merci soie !
Comment dou corps je le fesoie,
Et avoie aussi depuis fait.
« Certes, di-je, s’ai maint souhet
« Fait au lès deçà, puis ce di
« Que me parti, et que vous vi.
« Et toutefois, que fait ma dame ?
« Moult bien le voeil-je voir, par m’ame !
« Car en li est ma santé toute.
« S’ai depuis éu mainte doubte
« De li et mainte souspeçon,
« Je vous dirai par quel façon.
« Je m’estoie couchiés un soir
« Dessous mon chief le miréoir
« Que me donnastes au partir.
« Mès en dormant, sans point mentir,
« En un tel songe me ravi
« Que ma dame proprement vi ;
« Et liement la simple et douce
« Par trop beaus parler de sa bouche
« Me reconfortoit doucement ;
« Et fui assés et longement
« En grant joie par son parler.
« Et si tos que l’en vi raler,
« Je m’esvillai, lors tressalli !
« Car la vision me falli
« Après la joie fui en painne.
« Non-pour-quant, en celle sepmainne
« Fis un virelay ; tout nouvel.
« Veleci ; dont ce m’est moult bel. »
Ce respondi la damoiselle :
« Ce sera chose moult nouvelle,
« Dou virelay ; je li donrai,
« Et croi bien que je li dirai
« Une response pourvéue
« De tout bien à vo revenue ;
« Car depuis vostre departie
« Avons en yceste partie
« Parlé de vous par pluisours fois,
« Plus que ne le faisions ançois
« Que vous vos partistes de ci.
« Encor porés avoir merci ;
« Pas ne vous devés esbahir.
« Amours ne voelt nullui trahir ;
« Servés loyalment sans sejour,
« Car longe debte vient à jour. »
Le temps passoie ; ensi avint.
Des jours ne demora pas vint
Que de ma dame oy nouvelle
Qui lors me fu plaisans et belle
Car elle devoit une nuit
Estre en esbat et en deduit
Ciés une sienne grande amie.