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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

rons, et messire Regnault aussi le sien. Si vinrent l’un sur l’autre de grand’volonté pour faire armes, et se consuivirent des lances et targes moult roidement. Merveille fut que ils ne se déportèrent à terre, mais bien se tinrent, car tous deux savoient bien chevaucher ; et passèrent outre et s’arrêtèrent chacun sur son lez. Regnault de Roye portoit la sienne moult ordonnément. On rendit à l’écuyer anglois sa lance. Quand il la tint, il la mit en arrêt et puis éperonna de grand’volonté ; et lui sembloit bien, en éperonnant et en allant, que il jouteroit outre mesure ; voirement férit-il un beau coup s’il eût été droit assis ; mais le cheval vida, si en fut le coup plus foible, je ne sais si ce fut la coulpe de l’écuyer ; et messire Regnault le consuivit en sa targe si roidement qu’il lui fit plier l’échine. Ils passèrent outre sans autre dommage, et firent leur tour bien et à point ; et puis retournèrent chacun sur son lez, et s’apprêtèrent pour jouter la tierce fois ; et éperonnèrent les chevaux et baissèrent les lances, et de ce ils se férirent à mont sur les heaumes, si très fort que du fer et de l’acier les étincelles de feu en saillirent. Ils passèrent outre ; et chéirent jus à terre leurs lances de ce coup, mais cils étoient tout appareillés qui les levèrent et leur rendirent. Si les reprirent et mirent chacun la sienne en l’arrêt, et puis éperonnèrent les chevaux en courant. Ils s’avisèrent moult bien pour atteindre l’un l’autre. Si se consuivirent tout à plein ens ès lumières des heaumes et se donnèrent deux horions durs et roides. De celle joute fut Guillaume Seimort désheaumé et près porté à terre, mais bien se tint. Toutefois il chancela. Adonc s’en retourna l’Anglois vers ses gens et ne fit pour ce jour plus nulles armes.

Après se trait un autre écuyer avant qui s’appeloit Lancastre. Si envoya heurter à la targe de guerre de messire Boucicaut, lequel chevalier répondit ; ce fut raison, car d’avantage il étoit jà monté sur son cheval et la targe au col toute bouclée. On lui bailla son glaive ; il le prit et mit en arrêt ; et vinrent l’un sur l’autre de grand randon ; et se consuivirent sur les heaumes très durement, tant que du fer et de l’acier les flamèches de feu en saillirent. Merveilles fut que ils ne se désheaumèrent. Les coups vidèrent, si passèrent outre ; et retourna chacun sur son lez ; et guères n’y séjournèrent quand de rechef ils éperonnèrent et vinrent l’un contre l’autre de grand randon ; et se consuivirent ès targes, mais les chevaux croisèrent ; par quoi la joute ne fut pas trop belle ni trop forte, quoique amender ils ne le purent. Donc revinrent-ils à la tierce lance et se consuivirent de plein coup sur les heaumes. L’atteinte fut si à certes faite que l’Anglois fut désheamné, et demeura le chef tout nu à la coiffe. Si passèrent outre, et se retray chacun en son lieu ; mais l’écuyer anglois pour ce jour n’en voult plus rien faire.

Après se trait avant un chevalier d’Angleterre, qui se nommoit messire Jean Taillebourg, armé de toutes pièces bien et franchement ; et envoya heurter à la targe de guerre du seigneur de Saint-Py, lequel répondit et fut tantôt appareillé pour jouter. Il prit son glaive et férit cheval des éperons ; et le chevalier anglois vint à l’encontre de lui de grand’volonté. Si se consuivirent ce premier coup ès targes, si roide et si dur que les lances volèrent en tronçons, et passèrent outre les deux chevaliers sans eux porter plus de dommage. Et s’en vint chacun sur son lez. Guère n’y séjournèrent quand de rechef ils éperonnèrent. Jà leur avoit-on baillé nouvelles lances, car elles étoient toutes prêtes et d’une longueur ; ils vinrent l’un sur l’antre, et se cuidèrent trop bien atteindre ; mais non firent, car les chevaux croisèrent, parquoi leurs coups n’eurent point de force. Si passèrent outre et firent leur tour ; et se appareillèrent pour jouter la tierce lance, laquelle fut moult bien assise, car les deux chevaliers se désheaumèrent tout du coup. Donc se trait chacun sur son lez et entre ses gens. Le chevalier anglois n’en fit plus pour ce jour.

Après se trait avant messire Godefroy de Seton, un gentil chevalier et bien joutant ; et montroit bien, qui le véoit sur son cheval tenir son glaive, qu’il avoit grand désir de jouter. Et envoya heurter par un sien écuyer à la targe de guerre de messire Regnault de Roye. Le chevalier répondit, car il étoit tout prêt et sur son cheval d’avantage, et la targe au col. Il prit son glaive et se mit en ordonnance pour bien jouter. Les deux chevaliers, qui jouter devoient et vouloient, éperonnèrent d’un tenant et vinrent l’un sur l’autre au plus droit qu’ils purent, et se férirent grands horions ès targes. Les lances furent fortes et point ne brisèrent, mais archonnèrent ; et par fort bouter et de bons bras les chevaux