Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
599
DE JEAN BOUCIQUAUT. — PARTIE I.

à Rhodes. Quand ils furent là arrivés, maladie tantost print au seigneur de la Trimouille, de laquelle il mourut dans peu de jours, dont il pesa moult au mareschal, qui avoit faict tout son pouvoir de sa guarison, et moult avoit esté de luy soigneux ; si le fit ensepvelir le plus honorablement qu’il put. Et quand ce fut faict, il arma deux galées et s’en vint à Metelin, et là parla au seigneur de Metelin, et le pria de par le comte de Nevers et de par les autres seigneurs que il les voulsist secourir de certaine finance, et que bonne seureté luy en seroit faicte. De ceste chose fit si grande diligence le bon loyal mareschal, et tant y mit peine, et si gracieusement et tant saigement parla au dict seigneur de Metelin, que il eut de luy et d’autres riches marchans du pays jusques à la somme de bien trente mille francs, duquel argent luy mesme se obligea très estroitement. Quand il eut ainsi fait sa finance il s’en retourna hastivement devers le comte de Nevers et sa compaignie, qui furent moult esjouis et réconfortés de sa venue et de la finance que il leur avoit apportée, dont grand besoing avoient. Et puis se partit d’eulx, et alla devers le Basat payer la rançon à quoy il l’avoit mis, et fut quitte de sa prison, et s’en pouvoit aller où il luy plaisoit. Mais ne cuidez mie que pourtant le très loyal chevalier abandonnast ne laissast le bon comte de Nevers, ne sa compaignie : ains se ralla bouter avec eux en prison tout aussi gayement que si prisonnier fust, de laquelle chose moult luy sceurent bon gré. Et luy dit le comte de Nevers telles paroles : « Ha, mareschal ! de quel courage vous venez vous mettre de rechef en ceste dure et maudite prison, quand vous vous en pouvez aller franchement en France ! » Ausquelles paroles il respondit : « Monseigneur, jà à Dieu ne plaise que je vous laisse en ceste contrée ; ce ne sera mie tant que j’auray au corps la vie. À grand honte et à grand mauvaisetié me debvroit tourner de vous laisser emprisonner en lieu si divers, pour m’en aller aisier en France. » De ce le remercia moult le comte de Nevers ; si le renvoya devers le Basat pour pourchasser leur délivrance et les mettre à rançon. À laquelle chose il mit moult grand peine ; car moult le trouvoit dur et revesche, et sembloit qu’il n’y voulsist entendre, ne on ne le pouvoit faire mettre à nulle raison. Si alla et revint le mareschal par plusieurs fois pour celle cause, et longuement dura ce traicté ; car le Basat ne sçavoit que faire, de les faire tous mourir ou de les mettre à rançon : car il doubtoit, s’il les laissoit aller, que après, quand en France seroient retournés, assemblassent grand ost et r’allassent sur luy pour eulx venger, pour laquelle cause pourroit luy et son pays estre destruict. Si trouvoit à son conseil que le mieulx estoit que il les mist à mort. Mais quand le saige mareschal eut senty ceste chose, moult eut grand peur et doubte de la vie de ses bons seigneurs et amis ; si se pensa que grand sens convenoit à traicter accord avec le Basat. Si se parforça encores plus de bel de parler à luy. Si luy disoit, que par les délivrer acquerroit grandes amitiés en France, et que maints beaux dons en recepvroit, et grande finance en auroit ; et par les retenir à force, ou s’il faisoit d’eulx autrement que raison, tous les princes chrestiens du monde, pour l’amitié du roy de France lui iroient courir sus, si le destruiroient.

Telles paroles bien et saigement luy disoit le mareschal. Parquoi tant fit et tant travailla, que au dernier le Basat qui doubta le mal qui ensuivre luy en pouvoit s’il les faisoit mourir, commença à se mettre en voye d’accord. Si entrèrent en traicté de la somme de la finance de la rançon ; et tant fut celle chose pourparlée, que nonobstant que le Basat demandast un million de francs, si sage manière sceut tenir vers luy le mareschal, que petit à petit et de somme en somme le condescendit à cent cinquante mille francs, à la charge que le comte de Nevers jureroit par tous les sermens de sa loy, et aussi tous les autres seigneurs de son lignaige, que jour de leurs vies, eulx ny aucun de par eulx, ne s’armeroient contre luy. De ce serment faire convint que fussent les prisonniers d’accord, ou autrement jour de leurs vies ne eussent esté délivrés. Et aussi pour celuy serment et seureté avoir de eulx se condescendit le Basat à moins de somme d’argent. Mais ne furent mie longuement asservis à celle convenance : car assez tost après mourut le Basat. Quand ceste chose fut accordée, ne musa pas le mareschal, car moult avoit grand peur que le Basat trouvast autre conseil. Si vint tantost devers le comte de Nevers, et luy dit l’appointement du traicté, lequel il agréa, et les autres aussi, nonobstant que eussent eu en volonté et désir de eulx ven-