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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/607

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DE JEAN BOUCIQUAUT. — PARTIE I.

et avec luy mèneroit huit cens hommes d’armes, et quatre cens arbalestriers, et en prendront deux cens qui estoient jà devant pour la garde du pays, et par ainsi seroient mille hommes d’armes qu’il auroit. Et avec ce luy fut baillé l’arrest de Parlement qui avoit esté jetté contre luy, pour ce que il ne s’estoit comparu à l’appel du roy. Et ainsi se partit le mareschal à belle compagnie ; et avec luy allèrent le vidame de Lannois, qui ores est grand maistre d’hostel du roy, messire Guillaume le Boutellier, messire Bonnebaut, Parchion de Nangiac, et plusieurs autres bannerets et vaillans chevaliers. Si tost que le mareschal fut arrivé en Pierregort, il manda au comte que il se mist en l’obéissance et volonté du roy, et demandast pardon de la grand mesprison que vers luy faite avoit ; et que si ainsi le vouloit faire, que il mesme pourchasseroit sa paix vers le roy, et le prieroit que il luy voulsist pardonner. Mais de tout ce ne fit nul compte, ains espia son point et saillit sur les gens du mareschal à belle escarmouche. Mais toutes fois ce fut à son pis, car il fut laidement rechassé en sa forteresse ; et non pourtant y fut blessé messire Robert de Milly, qui estoit et est de l’hostel du mareschal. De ceste désobéissance et oultrecuidance que le comte de Pierregort faisoit contre le roy, fut moult indigné le mareschal ; et dit qu’il luy vendroit cher sa folie. Si mit tantost le siége par très belle ordonnance devant le chastel de Montignac, qui est une très forte place, et sembleroit comme imprenable ; et là estoit le dict comte, et manda querre engins et trait de par tout, et en fit faire tant qu’il en fut bien garny. Puis les fit dresser. Si prirent à lancer si grosses pierres d’engins et de canons contre les murs que tous les estonnèrent, et si druement que l’un coup n’attendoit l’autre, dont ils abatoient la muraille à grands quartiers ; tant que, en deux mois que dura le siége, furent si bien battus que mieulx ne pouvoient. Et bien virent ceulx de dedans que tenir ne se pourroient, et que remède n’y avoit qu’ils ne fussent pris par vive force. Si conseillèrent au comte que il se rendist, laquelle chose quand plus n’en put il fit, et se soubmist à la volonté du roy et à l’ordonnance du mareschal. Et aussi se rendirent au roy tous ses chasteaux et villes, et le mareschal, comme saige chevetaine, y mit très bonnes gardes, et très bien les garnit ; et le comte et ses sœurs qui avec luy furent prises envoya en France au roy, lequel luy pardonna ses mesfaits, pour ce que il luy cria mercy, et promist d’estre de là en avant bon François. De laquelle chose il se parjura : car assez tost après se partit sans congé, et s’en alla en Angleterre, dont puis ne retourna. Le mareschal demeura toute celle saison qui estoit hyver en Guyenne, en la garde du pays, et puis l’esté d’après s’en retourna vers le roy.

CHAPITRE XXIX.

Cy dict comment l’empereur de Constantinoble envoya requerir secours au roy contre les Turcs, et il y envoya le mareschal à belle compagnie (1399).

En celluy temps, lors que le mareschal estoit en Guyenne comme dict est, l’empereur de Constantinoble qui est appelle Karmanoli, envoya devers le roy un sien ambassadeur nommé Catocuseno, luy supplier que il le voulsist secourir et ayder contre les Turcs, car il ne pouvoit plus résister à leur force ; si luy plust estre en aide, à celle fin que luy et la noble cité de Constantinoble ne chussent ès mains des mescréans, car plus n’y savoit remède. Aultressi pour celle chose mesme, les Genevois et les Vénitiens qui de ce savoient la pure vérité, envoyèrent pareillement leurs ambassadeurs au roy, le supplier que il voulsist secourir le dict empereur, et que eulx aussi l’ayderoient, c’est à savoir chascune seigneurie de huit galées ; et se faisoient forts de ceulx de Rhodes. Lors si comme le roy se conseilloit que il estoit bon à faire de ceste chose, arriva le mareschal devers luy. Si fut regardé en conseil que, pour le bien de la chrestienté, et pour ayder à l’empereur qui au roy requéroit secours, bon seroit qu’il envoyast le dict mareschal ; car capitaine plus propice n’y pouvoit envoyer. Si en fut le roy d’accord, et luy ordonna quatre cens hommes d’armes et quatre cens varlets armés, et une quantité d’archers. De ceste commission fut joyeux le mareschal ; et fit telle diligence, que luy et ses gens, et son navire, et toutes choses nécessaires pour iceluy voyage furent prestes à la Sainct-Jean d’esté, à monter sur mer à Aiguesmortes, où le dict mareschal arriva deux jours après. Et là chargea quatre naves et deux galées, et de là se partit, et s’en allèrent avec