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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/610

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LIVRE DES FAITS

avoit de moult bons villaiges et de beaux manoirs, tous mirent à l’espée les Sarrasins que ils trouvèrent. Et puis quand ils eurent faict ceste course, ils s’en retournèrent et retrairent en Grèce. Et peu de jours après ils repassèrent en Turquie, et allèrent bien deux lieues loing de la marine pour destruire un gros villaige qui sied sur le gouffre de Nicomédie, appelle Diaquis. Mais là trouvèrent grande assemblée de Turcs du pays qui cuidèrent garder le villaige contre nos gens, et tous arrangés se tenoient à pied et à cheval au devant, à telles armures comme ils pouvoient avoir. Mais ce ne leur valut rien ; car en peu d’heures eussent esté tous morts et pris, s’ils ne s’en fussent fuis. Toutesfois ne sceurent si tost fuir que la plus grande partie d’eulx ne fust mise à l’espée. En ce villaige y avoit moult de beaux manoirs et un riche palais qui avoit esté au Basat. Si boutèrent nos gens le feu par tout, et destruirent le villaige et tout le pays à l’environ, puis se boutèrent en leurs galées et allèrent toute nuict. Et le lendemain, quand ils volrent descendre et prendre terre devant une cité appelée Nicomédie, les Sarrasins y cuidèrent mettre empeschement, et leur furent à l’encontre à grand quantité, pour leur chalenger le port ; mais ce ne leur valut rien, car nos gens prirent port malgré leurs dents, et les repoussèrent laidement, et terre gaignèrent sur eulx. Si allèrent nos gens assaillir la ville par manière d’escarmouche ; et mirent le feu aux portes, mais ne peurent les brusler, pour ce que elles estoyent toutes ferrées de lames de fer. Les eschelles furent apportées et dressées contre les murs, qui à merveilles sont forts et beaux, et si hauts que trop courtes furent plus de trois brasses. Si n’y purent rien faire ; mais ils occirent tous les Sarrasins qu’ils purent trouver, et bruslèrent les faulxbourgs, tout le pays et les villaiges d’environ. Puis se retrairent en leur navire et cheminèrent toute nuict, et le matin prirent port au plus près qu’ils purent d’un grand villaige champestre que on nomme le Serrail, qui estoit loing de la marine comme à une grosse lieue. Si s’assemblèrent contre eux tous les Sarrasins du pays, qui leur cuidèrent défendre l’approcher de la ville ; mais n’y peurent contredire. Toute bruslèrent, et la gent occirent qu’ils trouvèrent, et tout le pays d’environ. Mais tandis que ils faisoient cest exploict, les nouvelles s’en allèrent par tout. Si s’assemblèrent moult grand quantité de Sarrasins. Et ainsi comme nos gens s’en retournoient en leurs nefs en moult belle ordonnance, comme bien besoing leur estoit, iceulx Sarrasins les poursuivirent de si près que par plusieurs fois firent retourner l’arrière garde pour cuider combatre à eulx. Car plusieurs fois s’essayèrent de mettre nos gens en désordonnance, et toutesfois ne les osèrent plainement assaillir. Et nos gens ne volrent plus là arrester pour la nuict qui jà s’approchoit. Si rentrèrent en leurs galées, et retournèrent à Constantinoble.

CHAPITRE XXXII.

Des villes et chasteaux que l’empereur, le mareschal et leur compaignie prirent sur Sarrasins.

Quand l’empereur et le mareschal à tout leur ost eurent séjourné à Constantinoble environ six jours, ils en partirent et retournèrent en Turquie. Et allèrent assaillir un bel chastel qui séoit sur la mer Majour, et estoit appelé Rivedroict. Au poinct du jour furent là arrivés. Mais les Sarrasins qui de leur venue avoient esté advisés, et leurs espies avoient sur mer qui tost leur rapportèrent, saillirent tantost en plains champs, et ne leur contredirent pas le descendre : ains se mirent en belle ordonnance devant le chastel pour leur livrer la bataille ; et estoyent bien de six à sept mille Turcs. Et quand ils virent que si grande compaignie de gens estoyent, et en si belle estoffe, ils prirent avec eulx pour croistre leur ost tous les gens qui estoyent en la garnison du dict chastel, excepté une quantité de gens d’armes des meilleurs que ils eussent, qui leur sembla estre suffisante pour le garder pour un jour contre tout le monde ; car tant estoit fort et hault de luy mesme que il estoit de légère garde. Et quand eurent ce fait, tous serrés ensemble et bien sagement ordonnés, ils se reculèrent et tirèrent un peu en sus du chastel, afin que quand nos gens seroient à l’assault au pied du mur, et seroient esparpillés pour combattre le chastel, que ils vinssent si tost sur eulx que ils n’eussent le loisir de eulx assembler ne mettre en ordonnance. Et par la propre manière que ils avoient ordonné, le cuidèrent faire six ou sept fois la journée. Mais le saige mareschal avoit moult