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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/631

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DE JEAN BOUCIQUAUT. — PARTIE II.

alloit en Turquie, devant un bel chastel et ville que on nomme Lescandelour, il pourroit faire celle part belle et honnorable conqueste, et aussi c’estoit son chemin en approchant vers Cypre. Adonc sans plus attendre fit ses galées ordonner. Si monta sus avec sa belle et noble compaignie de très bons gens d’armes, tous de nom et d’eslite, et très désireux de bien besongner et d’accroistre leur renommée. De Rhodes se partit en belle ordonnance. Et comme il alloit par mer, rencontrèrent une grosse nave de Sarrasins, laquelle tantost ils combatirent tant que elle fut prise, et grassement y gaignèrent. Si alla tant par plusieurs journées qu’il arriva devant Lescandelour, droict a un dimanche, à l’heure de nonne. Adonc print à adviser la dicte ville, laquelle sied en partie sus la marine, et y a une grosse tour qui garde le havre, et puis va s’estendant au hault d’une montaigne où sied au chef un fort et hault chastel qui garde la ville, laquelle est partie en deux parties, puis au bas est de l’autre costé la terre plaine venant sur la marine, où il y a moult beau pays et grands manoirs et jardinaiges. Adonc saillirent hors des nefs les bonnes gens d’armes par belle ordonnance, comme le saige mareschal leur avoit ordonné. Et quand ils eurent gaigné terre, et furent tous assemblés sur la plaine, adonc fit le mareschal plusieurs chevaliers nouveaux, dont d’aucuns me souvient des noms et non de tous. C’est à sçavoir le Barrois, le fils du seigneur de la Choletière qui nepveu estoit dudict mareschal, le seigneur de Chasteauneuf en Provence, messire Menaut Chassagnes, messire Louys de Montigian qui y mourut, et grand nombre d’autres. Et y levèrent bannières plusieurs autres vaillans chevaliers et escuyers, tous de grande volonté de bien faire. Si se trouvèrent sur ceste place huit cents chevaliers et escuyers tous duits à la guerre, et gens de grande eslite, vaillans et renommés de nom et d’armes ; et pouvoient estre en tout environ trois mille combatans, tous très ardens et courageux de faire prouesses et vaillantises, pour l’exaucement de la foy chrestienne et pour accroistre leurs renommées. Et entre eulx estoit le très vaillant mareschal comme preux chevetaine qui les mettoit en ordonnance, et par ses bons et chevaleureux enhortemens les admonestoit qu’ils se portassent comme vaillans ; car il avoit espérance en Dieu, en Nostre Dame, et en sainct George, que ils feroient bonne journée. Ha ! qu’il faisoit bel voir ceste belle compaignie, en laquelle estoient assemblées tant de bannières de renommée, c’est à sçavoir la bannière de Nostre Dame, celle du mareschal, celle du seigneur d’Acher, celle du seigneur de Chasteaumorant, celle du seigneur de Chasteaubrun nommé messire Guillaume de Nillac, la bannière du seigneur de Chasteauneuf, celle du seigneur de Puyos, et autres que nommer ne sçay !

CHAPITRE XVI.

Cy dit comment le mareschal assaillit Lescandelour par belle ordonnance.

Le mareschal ordonna son assault en trois parties, c’est à sçavoir commit le vaillant seigneur de Chasteaumorant à tout belle compaignie à combatre du costé de la marine ; son mareschal, appelle messire Louys de Culan, à tout cent hommes d’armes, cent arbalestriers et cent varlets, mit pour garder un pas par où secours pouvoit venir en la ville ; et luy avec le seigneur de Chasteaubrun, et l’autre partie de ses gens, assaillirent du costé de la porte.

Quand toute l’ordonnance fust faicte, qui fut comme à heure de nonne, adonc pour commencer l’assault, prirent trompettes à sonner si hault que tout en retentissoit. Lors commencèrent à assaillir de toutes parts, et ceulx de dedans à eulx défendre par grand vigueur, et ainsi ne finèrent de donner et de recevoir des coups, tant qu’il y en eut de morts et de navrés grand foison d’un costé et d’autre. Moult trouva grand force et grand défence du costé de la marine le seigneur de Chasteaumorant. Car la tour qui gardoit le havre estoit fort garnie de trait et de gens d’armes qui moult bien la défendoient, et espoissément lançoient à eulx. Mais vous véissiez nos gens comme preux, par grand vigueur, nonobstant toute défence, agrapper contremont ces murs et dresser eschelles, et là estriver l’un contre l’autre à monter sus des premiers ; et à qui mieulx mieulx s’alloient là esprouver. Si fut combatu en eschelle par grande hardiesse et moult vaillamment : mais trop furent leurs eschelles courtes, pour laquelle cause convint ainsi demeurer celle journée. Le bon messire Louys de Culan qui gardoit le pas, comme dict est, n’y travailla mie en