Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/104

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l’horreur des nouveautés qui font du bruit. Pieuse et mondaine, très-simple avec un assez grand air, parfaite en tout, même en ses légères bizarreries, elle avait réglé sa vie d’après deux principes qui, disait elle, étaient des vertus de famille : la dévotion aux lois de l’Église, le respect des lois du monde ; et telle était la grâce facile qu’elle savait mettre dans l’accomplissement de ces deux devoirs, que sa piété, très-sincère, semblait n’être qu’un nouvel exemple de son savoir-vivre. Son salon, comme tout le reste de ses habitudes, était une sorte d’asile ouvert et de rendez-vous pour ses réminiscences ou ses affections héréditaires, chaque jour un peu plus menacées. Elle y réunissait, particulièrement le dimanche soir, les quelques survivants de son ancienne société. Tous appartenaient à la monarchie tombée, et s’étaient retirés du monde avec elle. La révolution, qu’ils avaient vue de près, et qui leur fournissait un fonds commun d’anecdotes et de griefs, les avait tous aussi façonnés de même en les trempant dans la même épreuve. On se souvenait des durs hivers passés ensemble dans la citadelle de ***, du bois qui manquait, des dortoirs de caserne où l’on couchait sans lit, des enfants qu’on habillait avec des rideaux, du pain noir qu’on allait acheter en