Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/145

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deleine eut l’air de ne pas entendre. Julie ne sourcilla pas. Olivier se tut. M. d’Orsel prit la carte et la déchira. Quant à moi, le plus intéressé de tous à préciser les moindres circonstances de ce voyage, que vous dirai-je ? J’avais besoin d’être heureux : là est le secret de beaucoup d’aveuglements moins explicables encore que celui-ci.

Entre Madeleine presque femme et l’adolescent à peine émancipé que je vous montre, entre ses brillantes années et les miennes, il y avait mille obstacles connus ou inconnus, flagrants ou cachés, nés ou à naître. N’importe, je m’obstinais à n’en voir aucun. J’avais regretté Madeleine, je l’avais désirée, attendue, et vous devinez que plus d’une fois depuis son départ j’avais maudit le misérable esprit de rébellion qui m’avait aigri contre la plus enviable, la plus douce et la moins calculée des servitudes. Elle revenait enfin, affectueuse à me ravir, séduisante à m’émerveiller ; je la possédais ; et, comme il arrive aux gens dont un excès de lumière a troublé la vue, je n’apercevais rien au delà du confus éblouissement qui m’aveuglait.

Grâce à cette absence de raison, je devrais dire à cette cécité, je me plongeai dans les mois qui suivirent, comme si j’étais entré dans un infini. Imaginez un vrai printemps, rapide et déjà très-