Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/172

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que je pus réfléchir, j’eus un accès de honte, de désespoir et de folie amoureuse qui ne me consola pas, mais qui me soulagea. Je serais bien en peine de vous dire ce qui se passa en moi pendant ces quelques heures tumultueuses, les premières qui me firent connaître avec mille pressentiments de délices, mille souffrances toutes atroces, depuis les plus avouables jusqu’aux plus vulgaires. Sensation de ce que je pouvais rêver de plus doux, crainte effroyable de m’être à jamais perdu, angoisses de l’avenir, sentiment humiliant de ma vie présente, tout, je connus tout, y compris une douleur inattendue, très-cuisante, et qui ressemblait beaucoup à l’âcre frisson de l’amour-propre blessé.

Il était tard, la nuit était profonde. Je vous ai parlé de ma chambre située dans les combles, sorte d’observatoire où je m’étais créé, comme aux Trembles, de continuelles intelligences avec ce qui m’entourait, soit par la vue, soit par l’habitude constante d’écouter. J’y marchai longtemps (et mes souvenirs redeviennent ici très-précis) dans un abattement que je ne saurais vous peindre. Je me disais : « J’aime une femme mariée ! » Je demeurais fixé sur cette idée, vaguement aiguillonné par ce qu’elle avait d’irritant, mais atterré surtout et fasciné pour ainsi dire par ce qu’elle contenait