Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/216

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de sa visite, je m’aperçus bien qu’il n’était pas, lui non plus, dans des dispositions riantes.

« Et vous aussi, mon cher Augustin, lui dis-je, vous n’êtes pas heureux ?

— Vous le devinez, me dit-il, avec un peu d’amertume.

— Il le faut bien, puisque vous avez l’orgueil de ne pas l’avouer.

— Mon cher enfant, reprit-il dans ces formes un peu paternelles qu’il n’abandonnait pas et qui donnaient un certain charme à la roideur de ses conseils, la question n’est pas de savoir si l’on est heureux, mais de savoir si l’on a tout fait pour le devenir. Un honnête homme mérite incontestablement d’être heureux, mais il n’a pas toujours le droit de se plaindre quand il ne l’est pas encore. C’est une affaire de temps, de moment et d’à-propos. Il y a beaucoup de manières de souffrir : les uns souffrent d’une erreur, les autres d’une impatience. Pardonnez-moi ce peu de modestie, je suis peut-être seulement trop impatient.

— Impatient ? et de quoi ? Peut-on le savoir ?

— De n’être plus seul, me dit-il avec une singulière émotion, afin que, si j’ai jamais quelque nom, je n’en sois pas réduit à ce triste résultat d’en couronner mon égoïsme. »