Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/242

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laissé, par l’être que j’aimais le plus, sur la terre même où j’étais né.

Au moment où nous approchions de Villeneuve, je montrai de loin la route blanchâtre qui sort du village et s’étend en ligne droite jusqu’à l’horizon.

« Voilà la route d’Ormesson, » dis-je à Madeleine.

Ce mot d’Ormesson sembla réveiller en elle une série de souvenirs déjà affaiblis ; elle suivit attentivement des yeux cette longue avenue plantée d’ormeaux, tous pliés de côté par les vents de mer, et sur laquelle il y avait au loin des chariots qui roulaient, les uns pour rentrer à Villeneuve, les autres pour s’en éloigner.

« Cette fois, reprit-elle, vous n’y voyagerez plus seul.

— En serai-je plus heureux ? répondis-je. Serai-je plus certain de ne rien regretter ? Où retrouverai-je ce que je laisse ici ? »

Madeleine alors me prit le bras, s’y appuya avec l’apparence d’un entier abandon, et me répondit un seul mot :

« Mon ami, vous êtes un ingrat ! »

Nous quittâmes les Trembles au milieu de novembre, par une froide matinée de gelée blanche.