Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/258

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peine où je demeurais, du moins elle avait l’air ou de l’ignorer ou de l’oublier. Jamais elle ne me questionnait sur l’emploi des soirées qui ne lui appartenaient pas et sur lesquelles il lui convenait pour ainsi dire de laisser planer quelques doutes. Au milieu même de ces habitudes décousues, qui réduisaient mon sommeil à peu de chose et me tenaient dans un continuel état de fièvre, j’avais retrouvé une sorte d’énergie maladive et je dirai presque un insatiable appétit d’esprit qui m’avaient rendu le goût du travail plus piquant. En quelques mois, j’avais réparé à peu près le temps perdu, et sur ma table il y avait, comme un tas de gerbes dans une aire, une nouvelle récolte amassée, dont le produit seul était douteux. C’était le seul point peut-être dont Madeleine me parlât avec abandon ; mais ici c’était moi qui élevais des barrières. De mes occupations d’esprit, de mes lectures, de mon travail, et Dieu sait avec quelle orgueilleuse sollicitude elle en suivait le cours ! je lui faisais connaître un seul détail, toujours le même : j’étais mécontent. Ce mécontentement absolu des autres et de moi-même en disait beaucoup plus qu’il ne fallait pour l’éclairer. Si quelque circonstance encore restait dans l’ombre, en dehors d’une amitié qui, sauf un secret immense,