Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/299

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bord, et qui aimera mes succès le jour où je lui en aurai fait goûter. »

Le jour se levait, qu’Augustin, dont ce fut assurément le plus long discours, parlait encore ; et à peine le premier crépuscule eut-il fait pâlir la lampe et rendu les objets visibles, qu’il alla vers la fenêtre se baigner le visage à l’air glacé du matin. Je voyais sa figure anguleuse et blême se dessiner comme un masque souffrant sur le champ du ciel, mal éclairé de lueurs incertaines. Il était vêtu de couleurs sombres ; toute sa personne avait cet air réduit, comprimé, pour ainsi dire diminué, des gens qui travaillent beaucoup sans agir, et quoiqu’il fût au-dessus de toute fatigue, il allongeait ses mains maigres et s’étirait les bras comme un ouvrier assoupi entre deux tâches et qui se réveille au chant du coq.

« Dormez, me dit-il. J’ai trop abusé de votre complaisance à m’écouter. Laissez-moi seulement ici pour une heure encore. »

Et il se mit à ma table à préparer un travail qui devait être achevé le matin même.

Je ne l’entendis point sortir de ma chambre. Il se déroba sans bruit, au point qu’en m’éveillant, je crus avoir rêvé toute une histoire austère et touchante dont la moralité s’adressait à moi.