Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/346

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pliais de me recevoir, de me laisser revenir à elle. Je lui racontais ma vie tout entière avec le plus lamentable et le plus légitime des orgueils. Il y avait des moments où le modelé fuyant des joues, l’étincelle des yeux, l’indéfinissable dessin de la bouche donnaient à cette muette effigie des mobilités qui me faisaient peur. On eût dit qu’elle m’écoutait, me comprenait, et que l’impitoyable et savant burin qui l’avait emprisonnée dans un trait si rigide l’empêchait seul de s’émouvoir et de me répondre.

Quelquefois l’idée me venait que Madeleine avait prévu ce qui arrivait : c’est que je la reconnaîtrais, et que je deviendrais fou de douleur et de joie dans ce fantastique entretien d’un homme vivant et d’une peinture. Et, suivant que j’y voyais des compassions ou des malices, cette idée m’exaspérait de colère, ou me faisait fondre en larmes de reconnaissance.

Ce que je vous dis là dura près de deux grands mois ; après quoi, le lendemain d’un jour où je lui fis des adieux vraiment funèbres, les salles furent fermées, et le portrait disparu me laissa plus seul que jamais.

À quelque temps de là, je reçus la visite d’Olivier. Il était sérieux, embarrassé et comme chargé