Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/44

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que de côtoyer la mer. Je remarquais que ces longues chevauchées coupées de silences, dans un pays qui ne prêtait nullement au rire, le rendaient plus sérieux que de coutume. Nous allions au pas, côte à côte, et souvent il oubliait que j’étais là pour suivre dans une sorte de demi-sommeil un peu vague la monotone allure de son cheval ou son piétinement sur les galets roulants du rivage. Des gens de Villeneuve ou d’ailleurs croisaient notre route et le saluaient. Tantôt c’était M. le maire et tantôt M. Dominique. La formule variait avec le domicile des gens, le plus ou moins de rapports avec le château, ou d’après le degré de servage.

« Bonjour, monsieur Dominique », lui criait-on à travers champs. C’étaient des laboureurs, gens de main-d’œuvre, pliés en deux sur le dos de leurs sillons. Ils relevaient tant bien que mal leurs reins faussés, et découvraient de grands fronts frisés de cheveux courts, bizarrement blancs, dans un visage embrasé de soleil. Quelquefois un mot dont le sens était nullement défini pour moi, un souvenir d’un autre temps, rappelé par un de ceux qui l’avaient vu naître, et qui lui disaient à tous propos : « Vous souvenez-vous ? » quelquefois, dis-je, un mot suffisait pour le faire