Page:Frontin - Les Stratagèmes - Aqueducs de la ville de Rome, trad Bailly, 1848.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
LES STRATAGÈMES.

Il n’est pas sans intérêt de rapprocher de cette histoire les deux faits suivants :

En 1626, l’île de Ré était assiégée par les Anglais, pendant que l’armée de Louis XIII accourait pour la délivrer ; et la garnison des forts, dénuée de vivres, était aux abois. C’est alors que trois soldats du régiment de Champagne offrent de passer à la nage le trajet de mer, qui est de deux lieues, et d’aller demander du secours dans le continent. Il fallait une force plus qu’ordinaire pour nager pendant un si long espace, et un courage héroïque pour oser, dans cet état, traverser la flotte anglaise ; mais rien n’étonnait de la part des soldats de Champagne. Nos trois guerriers, chargés de leurs dépêches renfermées dans des boîtes de fer-blanc, se jettent ensemble dans les flots. Le premier se noie ; mais il fut assez heureux pour servir l’État, même après sa mort : la mer, en effet, jeta son corps sur le rivage ; et des habitants de la côte l’ayant trouvé, prirent la lettre attachée à son cou et la remirent au cardinal de Richelieu. Le second fut pris par les Anglais. Le troisième, nommé Pierre Lanier, longtemps poursuivi par une barque ennemie, nageant presque toujours entre deux eaux, n’élevant la tête de temps en temps que pour respirer, souvent obligé de se défendre contre des poissons voraces, arrive enfin au rivage, couvert de sang, dans un état affreux. Il se traîna quelque temps, le long de la côte, sur ses pieds et sur ses mains, faible, abattu et presque mourant. Un paysan l’ayant enfin aperçu, lui donna le bras, le conduisit au fort Louis, et de là au camp du roi, qui lui fit l’accueil le plus flatteur, et lui assura une pension considérable sur la gabelle.

Pendant le blocus de Gènes, en 1800, le chef d’escadron Franceschi se chargea de porter des dépêches du premier consul à Masséna, enfermé dans cette ville. « Monté sur une embarcation que conduisaient trois rameurs seulement, il avait traversé, à la faveur de la nuit, la croisière anglaise, et était arrivé jusqu’à la chaîne des chaloupes les plus rapprochées de la place, lorsque le jour le surprit. Il se trouvait au milieu de la rade, à plus d’une lieue du rivage, et exposé au feu croisé des bâtiments. L’un des rameurs est tué, un autre est blessé : Franceschi ne peut plus éviter d’être pris sur son frôle esquif. Dans cette extrémité, il attache ses dépêches autour de son cou, au moyen d’un mouchoir, se dépouille de ses vêtements, et se jette à la mer pour gagner le rivage en nageant ; mais il pense bientôt qu’il a laissé ses armes, qui vont devenir un trophée pour l’ennemi : il retourne à l’embarcation, prend son sabre, qu’il serre entre ses