Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/103

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choit ne luy permettoit pas de laisser tirer l’affaire en longueur ; qu’enfin il sacrifioit cette somme d’argent à son plaisir, afin de ne perdre point de temps, ce qu’il n’eust pas fait en autre saison. Villeflattin, à qui on avoit promis en particulier une bonne paraguante25, sçeut si bien cajoller le bon homme, qu’il le fit resoudre d’accepter cette proposition, dans la menace qui leur estoit faite de revoquer le lendemain ces offres pour en playder tout de bon. Et ce qui l’y porta encore plustost fut que Villeflattin luy dit que Lucrece avoit égaré la promesse qu’il falloit produire, ce qui la mettoit en danger d’estre debouttée au premier jour de sa demande. Il luy fit considerer aussi que, n’y ayant qu’une simple promesse de mariage, sans autre suitte ny engagement avec Lucrece, et y ayant d’ailleurs un contract solemnel fait avec Javotte, cette action ne se pourroit resoudre qu’en quelques dommages et interests, qu’on n’arbitre pas tousjours fort grands, et qui dépendent purement du caprice des juges.



25. C’est proprement une expression espagnole qui veut dire pour les gants, et qui fait allusion à la paire de gants qui étoit alors le seul droit de commission, le seul pot-de-vin de certains services ; les locutions avoir les gants, se donner les gants d’une chose, viennent de là. Molière, dans l’Étourdi, a employé le mot paraguante, et Le Sage, dans Gil Blas (liv. 7, ch. 2), a dit, parlant d’un secrétaire du duc de Lerme : « Pourvu qu’il tire des paraguantes d’une affaire, il se soucie fort peu des épilogueurs. » Le mot nous étoit venu d’Espagne au XVIIe siècle ; nous avions l’usage auparavant. Ainsi, dans le Roman de la Rose (édit. Lenglet Dufresnoy, t. 2, p. 158), il est parlé d’une paire de gants ainsi donnée, et dans le Perceforest, le roi dit au valet qui lui amène le cheval de sa maîtresse : « Passavant, je vous doibs vos gants. »