Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/106

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ques et sur le gouvernement, car il se meloit parmy de gros pelotons de gens inutiles, qui tous les matins vont au Palais, et y parlent de toutes sortes de nouvelles, comme s’ils estoient controlleurs d’estat (offices fort courus et fort en vogue) ; je m’étonne de ce qu’on ne les fait pas financer. L’apresdisnée il alloit aux conferences du bureau d’adresse26, aux harangues qui se faisoient par les professeurs dans les colleges, aux sermons, aux musiques des eglises, à l’orvietan27, et à tous les autres jeux et divertissemens publics qui ne coustoient rien, car c’estoit un homme que l’avarice dominoit entierement, qualité qu’il avoit trouvée dans la succession de son pere. Il estoit fils d’un marchand bonnetier qui estoit devenu fort riche à force d’épargner ses écus, et fort barbu à force d’épargner sa barbe. Il se nommoit Jean Bedout, gros et trapu, un peu camus, et fort large des épaules.

Sa chambre estoit une vraye salle des antiques ; ce


26. C’étoient celles qui se tenoient, à propos des nouvelles du jour, chez Théophraste Renaudot. On sait que ce premier de nos faiseurs de gazettes prenoit pour titre celui de maître général des bureaux d’adresse, et que, long-temps, on put lire au bas de la dernière page du journal dont il étoit le fondateur : Du bureau d’adresse, au Grand-Coq, rue de la Calandre, sortant au Marché-Neuf, près le Palais, à Paris.

27. C’étoit un des plus fameux opérateurs du Pont-Neuf. Il devoit à la ville d’Orviéto, d’où il venoit, le nom qu’il portoit et que sa drogue a gardé. On en trouve la recette dans la Pharmacopée de Moïse Charas (1753, 2 vol. in-4) ; la thériaque en étoit la base. La vogue de ce remède survécut à son inventeur, et fit la fortune de celui qui en acheta le secret. Nous lisons, en effet, dans le Livre commode des adresses pour 1690, au chapitre des Matières médicinales : « M. de