Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/112

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dout le refusa absolument, et dit pour toutes raisons qu’il avoit esté taxé aux aisez29 et contraint de se cacher pour cela six mois dans le Temple ; que les partisans, qui avoient des espions partout, pourroient voir le memoire de son bien, s’il l’avoit donné une fois à quelqu’un, et qu’ils recommenceroient leurs poursuites. Il se contenta de dire qu’il monstreroit toujours autant de bien qu’on en donneroit à la fille qu’on lui proposoit. Or, comme sa richesse estoit assez évidente, et qu’elle consistoit en maisons dans la ville et dans les faux-bourgs, Laurence, tel estoit le nom de sa cousine, fit qu’on n’insista pas d’avantage sur cette formalité. Mais elle se trouva bien embarrassée pour faire l’entreveue de luy et de la maistresse qu’elle lui destinoit, afin de voir s’ils seroient agreables l’un à l’autre.

Bedout esquiva la partie qu’elle vouloit faire pour cela, et il luy dit que rien ne pressoit, qu’il ne prenoit pas une femme pour sa beauté, qu’il seroit assez temps de la voir quand l’affaire seroit conclue ; qu’enfin telle qu’on la luy voudroit donner elle luy plairoit assez. Mais si vous ne lui plaisez pas (luy dit Laurence) ? Bedout répondit qu’une honneste femme ne devoit point avoir d’yeux pour les défauts de son mary. Nonobstant ces brutalitez, l’affaire s’avançoit toujours, et vint au point


29. Cette taxe des aisés, qui, son nom l’indique, ne frappoit que les riches, étoit une contribution exorbitante, d’autant plus qu’on ne l’imposoit qu’arbitrairement. Une anecdote racontée par Tallemant, édit. in-8, t. 1er, p. 374–375, prouve que Richelieu s’en faisoit une arme pour avoir raison de ceux dont il vouloit se venger. Il molesta de cette sorte Barentin, maître de la chambre aux deniers.