Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/129

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reduits, et de se mesler en des compagnies d’illustres et de pretieuses : le tout néantmoins sans s’esloigner beaucoup de son quartier, car on ne la vouloit pas perdre de veuë. Elle fut introduitte dans la plus belle de ces compagnies par Laurence, qui en estoit. Son exquise beauté fut cause qu’elle y fut la bien venuë, malgré son innocence et son ingenuité : car une belle personne est toujours un grand ornement dans une compagnie de femmes. Ce beau reduit estoit une de ces Academies bourgeoises dont il s’est estably quantité en toutes les villes et en tous les quartiers du royaume ; où on discouroit de vers et de prose, et où on faisoit les jugements de tous les ouvrages qui paroissoient au jour. La pluspart des personnages qui la composoient vouloient estre traittez d’illustres, et avec raison, puisqu’il n’y en avoit pas un qui ne se fist remarquer par quelque caractere particulier. Elle se tenoit chez Angelique, qui estoit une personne de grand mérite que je ne sçay quel hazard avoit engagée dans cette societé. Elle n’avoit point voulu prendre d’autre nom de guerre ny de roman que le sien : car le nom d’Angelique est au poil et à la plume, passant par tout, bon en prose et bon en vers, et celebre dans l’histoire et dans la fable. Elle avoit appris quelques langues et leu toutes sortes de bons livres ; mais elle s’en cachoit comme d’un


Quos passibus duplum esse debet. Régnier en parle aussi dans sa 5e satyre, v. 220.

Jadis, de votre temps, la vertu simple et pure
Sans fard, sans fiction, imitoit la nature…
… la nostre aujourd’hui qu’on revère icy-bas
Va la nuit dans le bal et danse les cinq pas.