Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/135

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une chose qui me tient fort au cœur, et qui nuit grandement à tous les escrivains feconds, dont je puis parler comme sçavant. Vrayement, Monsieur (dit Pancrace, qui estoit un autre gentil-homme qui s’estoit trouvé par hazard dans cette mesme assemblée), on voit bien que vostre interest vous fait parler ; mais considérez que, nonobstant qu’on imprime beaucoup de vers et de romans, on ne laisse pas d’imprimer encore un nombre infini de gros autheurs anciens et modernes. De sorte que, si les libraires en rebutent quelques-uns, ce n’est pas une bonne marque de leur merite. S’il ne tenoit plus qu’à cela (reprit Hyppolite), je ne m’en mettrois gueres en peine ; car j’ay un libraire qui me loue des romans, qui ne demanderoit pas mieux que de travailler pour moy, particulierement à cause que je ne luy en demanderois point d’argent, car je sçais bien qu’ils n’ont jamais refusé de coppies gratuittes. Et puis j’ai tant d’amis et une si grande caballe, que je leur en ferois voir le debit asseuré. Ce dernier moyen (dit Charroselles) est le meilleur pour faire imprimer et vendre des livres, et c’est à ce deffaut que j’impute la mauvaise fortune des miens. Malheureusement pour moy, je me suis advisé d’abord de satiriser le monde, et je me suis mis tous les autheurs contre moy. Ainsi les prosneurs m’ont manqué dans le besoin. Ha ! que si c’estoit à recommencer… Vous diriez du bien (dit Laurence, qui le connoissoit de longue main) ; ce seroit bien le pis que vous pourriez faire ; vous y seriez fort nouveau, et ce seroit un grand hazard si vous y pouviez reüssir. Hé bien ! je ne regretteray plus le passé (dit Charroselles), puisqu’il ne peut plus se rappeler ; mais du moins, pour me vanger, je donneray au public mon traitté de