Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou suppose un nom de roman pour se loüer librement luy-mesme. Je puis dire icy entre nous que je l’ay pratiqué avec assez de succès, et que sous un nom empruntée de commentateur de mon propre ouvrage, je me suis donné de l’encens tout mon soul.

Quoy qu’il en soit (reprit Hyppolite), je n’ay jamais pû concevoir comment on faisoit ces gros volumes, avec une suitte de tant d’intrigues et d’incidens : j’ai essayé mille fois de faire un roman, et n’en ai pû venir à bout ; pour des madrigaux, des chansons, et d’autres petites pieces, on sait que je m’en escrime assez bien, et que j’en ferai tant qu’on en voudra. Voila (dit Charroselles) un second moyen pour arriver promptement à la gloire, en ce malheureux siecle où on ne s’amuse qu’à la bagatelle. C’est tout ce qu’on estime et ce qu’on debite, pendant que les plus grands efforts d’esprit et les plus nobles travaux nous demeurent sur les bras.

Vous estes donc (dit Angelique) de l’opinion de ceux qui disent que le premier pas pour aller à la gloire est le madrigal, et le premier pour en décheoir est le grand poëme ? Il y a grande apparence (adjousta Pancrace). Mais comment est-ce que si peu de chose pourroit mettre les gens en reputation ? Vous ne dites pas le meilleur (adjousta Laurence) ; c’est qu’il faut qu’ils soient mis en musique pour estre bien estimez. Asseurement (interrompit Charroselles) ; c’est pour cela que vous voyez tous ces petits poëtes caresser Lambert, le Camus, Boisset et les autres musiciens de reputation, et qui ne mettent jamais en air que les vers de leurs favoris ; car autrement ils auroient fort à faire. On ne peut nier (dit Philalethe) que cette invention ne soit bonne pour se mettre fort en vogue : car c’est un moyen pour