Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/181

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(comme sa qualité de valet l’y obligeoit) il huma un peu de ce dangereux venin, qui, s’insinuant peu à peu dans ses veines, le rendit tout vilain et bourgeonné. Sa mere Venus, estant en peine de luy depuis long-temps, resolut de l’aller chercher par mer et par terre. Pour ce dessein elle envoya dans son colombier, qui est son escurie, prendre deux pigeons de carosse, qu’elle fit atteler à son char, avec lesquels (les poëtes sont guarens de cette verité) elle fendit les airs d’une tres grande vitesse ; et elle arriva enfin en Suede, où elle trouva son fils parmy un grand nombre de devots qu’elle commençoit d’avoir en ce pays là. Elle eut de la peine à le reconnoistre, tant à cause qu’il n’avoit plus les marques de sa domination, que parce qu’il estoit estrangement défiguré. Elle courut à lui, et l’embrassant avec une tendresse de mere, pour le flatter comme autrefois, luy voulut donner un cornet de muscadins ; mais il se mocqua bien d’elle, il luy montra de pleines gibecieres d’or et d’argent, et luy fit voir qu’il avoit amassé de grands tresors. En effet, il n’y auroit pas une plus belle fortune à souhaiter que de partager tout l’argent qui est dans le commerce d’Amour. Apres lui avoir fait le recit de toutes ses advantures, il ne pût luy celer le malheureux estat où il estoit reduit, dont aussi bien la deesse s’appercevoit, ayant desja bien eu des vœux de cette nature. Elle le mena aussitost à Esculape, à qui elle fit des prieres tres instantes de le guerir, mais il n’en pût venir à bout tout seul : il eut beau envoyer querir des medicamens exquis jusques au pays des Indes, d’où le mal estoit venu, il falut qu’il appellast à son secours une autre divinité. Mercure enfin entreprit cette cure et le guerit, non sans le faire beaucoup endurer, pour se vanger de luy