Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/191

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dez. Monsieur et madame Vollichon, avares de leur naturel, réjoüis du seul éclat de cette belle monnoye, sans y faire autre reflexion, le louërent de son bonheur, et peu s’en fallut qu’ils ne souhaittassent de l’avoir desja marié avec leur fille, puisqu’il faisoit si facilement fortune. Mais un oncle de Javotte, qui estoit un ecclesiastique sage et judicieux, leur remonstra que, s’il avoit gagné ce jour-là six cens pistolles, la fortune se pouvoit changer le lendemain, et luy en faire perdre mille ; qu’il ne falloit point mettre en leur alliance un joüeur, qui pouvoit en un moment perdre tout le mariage de leur fille, et qu’enfin ceux qui s’adonnent au jeu ne sont point attachez au soin de leur famille et de leur profession ; qu’au reste, s’ils vouloient rompre avec luy, il n’en falloit point laisser eschapper une si belle occasion. Pour surcroist de mal-heur, Villeflatin, rencontrant le lendemain Vollichon, luy demanda comment alloit l’affaire du mariage de sa fille ; et sans attendre sa réponse, il luy dit: Hé bien, nous avons tiré des plumes de nostre oison (parlant de Nicodeme) ; j’en ay fait avoir à mademoiselle Lucrece de bons dommages et interests, comme je l’avois entrepris : quand je me mesle d’une affaire pour mes amis, elle reüssit. En suite il luy raconta le succès de l’opposition qu’il avoit formée, et comme il en avoit fait toucher deux mille escus à sa partie, par la seule peur qu’avoit eu Nicodeme d’en estre poursuivy. Vollichon crut qu’il y avoit de la part de cet estourdy ou grande débauche, ou grande profusion, puisqu’il avoit acheté si cherement la paix de Lucrece, et il conceut le mal plus grand qu’il n’estoit en effet. Cela le determina tout à fait à la rupture, dont il donna dès le soir quelques témoignages à Nicodeme,