Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/207

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beau sexe ; et le tout neanmoins si adroitement, qu’on ne pouvoit pas croire qu’elle en parlast comme bien experimentée. Elle disoit que les promenades et les cadeaux, qui ont de si grands charmes pour les filles, n’estoient bons que pour un temps, lors qu’on estoit dans la plus grande jeunesse, et qu’on n’avoit pas assez de fermeté d’esprit pour trouver de meilleures occupations ; pour elle, qu’elle en avoit assez tasté pour en avoir du dégoust et pour n’aspirer plus qu’au bon-heur de la vie solitaire. Elle ne hantoit que les églises et les confessionnaus ; elle estoit aussi affamée de directeurs qu’elle avoit esté autrefois de galands ; tout son entretien n’estoit que de scrupules sur la conduite des mœurs, et des cas de conscience. Elle ne faisoit que s’enquerir où il y avoit des predicateurs, des festes, des confrairies et des indulgences. Ses romans estoient convertis en livres spirituels ; elle ne lisoit que des Soliloques et des Meditations ; enfin sa sainteté en estoit des-jà venue aux apparitions, et, pour peu qu’elle se fust accruë, elle fust arrivée aux extases. Elle declama mesme (ô prodige) contre les mouches, contre les rubans et contre les cheveux bouclez, et par modestie elle devint tellement negligée, qu’elle ne s’habilloit presque plus. Aussi auroit-elle eu bien de la peine à le faire, et ce fut fort à propos pour elle que la mode vint de porter des escharpes et de fort amples juste-au-corps, car ils sont merveilleusement propres à reparer le deffaut des filles qui se font gaster la taille.

On ne parla plus dans le quartier que de la conversion de Lucrece, quoy qu’elle y eust tousjours passé pour une personne d’honneur, mais un peu trop enjoüée,