Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/224

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reciproque. Que si c’estoit icy une histoire fabuleuse, je serois bien en peine de sçavoir quelles avantures je pourrois donner à ce personnage : car il ne fit jamais l’amour, et si on pouvoit aussi bien dire en françois faire la haine, je me servirois de ce terme pour expliquer ce qu’il fit toute sa vie. Il n’eut jamais de liaison avec personne que pour la rompre aussi-tost, et celle qui luy dura le plus long-lemps fut celle qu’il eut avec une fille qu’il rencontra d’une humeur presque semblable à la sienne. C’estoit la fille d’un sergent, conceuë dans le procès et dans la chicane, et qui estoit née sous un astre si malheureux qu’elle ne fit autre chose que plaider toute sa vie. Elle avoit une haine generale pour toutes choses, excepté pour son interest. La vanité mesme et le luxe des habits, si naturels au sexe, faisoient une de ses aversions. Elle ne paroissoit gouluë sinon lors qu’elle mangeoit aux dépens d’autruy ; et la chasteté qu’elle possedoit au souverain degré estoit une vertu forcée, car elle n’avoit jamais pû estre d’accord avec personne. Toute sa concupiscence n’avoit pour objet que le bien d’autruy, encore n’envyoit-elle, à proprement parler, que le litigieux, car elle eust joüy avec moins de plaisir de celuy qui luy auroit esté donné que de celuy qu’elle auroit conquis de vive force et à la pointe de la plume. Elle regardoit avec un œil d’envie ces gros procès qui font suer les laquais des conseillers qui les vont mettre sur le bureau, et elle accostoit quelquefois les pauvres parties qui les suivoyent, pour leur demander s’ils estoient à vendre ; comme les maquignons en usent à l’egard des chevaux qu’on même à l’abreuvoir.

Cette fille estoit seiche et maigre du soucy de sa