Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/276

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de se deffendre contre moy jusqu’à l’extrémité. Je veux qu’on plaide depuis la justice subalterne jusqu’à la requeste civile et à la cassation d’arrest au conseil privé104. Enfin, à l’exemple des cavaliers qui se battent, je tiens aussi lâche celuy qui veut passer un arrest par appointé, que celuy qui, en combat singulier, demande la vie au premier sang. J’avouë que cette façon d’agir est nouvelle et fort surprenante ; mais ceux qui s’en estonneront en peuvent rechercher la cause dans le ciel, qui me fit d’un naturel tout à fait extraordinaire. Bien donc (dit alors Belastre), puisque, sans vous fascher, il faut plaider contre vous, je veux intenter un procès criminel contre vos yeux, qui m’ont assassiné, et qui ont fait un rapt cruel de mon cœur ; je pretends les faire condamner, et par corps, en tous mes dommages et interests. Ha ! voilà parler d’amour bien élegamment (luy repartit Collantine) ; ce langage me plaist bien plus que celui d’un certain autheur qui me vient souvent importuner, et qui me parle comme si c’estoit un livre de fables. Mais dites-moy, Monsieur le prevost, où avez-vous pesché ces fleurettes ? qui vous en a tant appris ? on dit par tout que vous ne sçavez pas un mot de vostre mestier. J’en sçais bien d’autres (repliqua Belastre), la robbe et le bonnet m’inspirent tant de bel-


104. La justice subalterne ou foncière connoissoit des affaires de simple police. — « La requête civile est une voie de droit par laquelle on se pourvoit contre les arrêts rendus injustement. » (Dict. de Furetière.) — La chambre du conseil étoit celle où se rapportoient les procès par écrit. Les demandes en cassation d’arrêt étoient portées au conseil privé, composé de conseillers d’état, sous la présidence des chambres.