Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/35

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galands d’or, pour aller cajoler les dames. C’estoit un de ces jeunes bourgeois qui, malgré leur naissance et leur éducation, veulent passer pour des gens du bel air, et qui croyent, quand ils sont vestus à la mode et qu’ils méprisent ou raillent leur parenté, qu’ils ont acquis un grand degré d’élevation au dessus de leurs semblables. Cettuy-cy n’estoit pas reconnoissable quand il avoit changé d’habit. Ses cheveux, assez courts, qu’on luy voyoit le matin au Palais, estoient couverts le soir d’une belle perruque blonde, tres-frequemment visitée par un peigne qu’il avoit plus souvent à la main que dans sa poche. Son chapeau avoit pour elle un si grand respect, qu’il n’osoit presque jamais luy toucher. Son collet de manteau estoit bien poudré, sa garniture fort enflée, son linge orné de dentelle ; et ce qui le paroit le plus estoit que, par bon-heur, il avoit un porreau au bas de la joue, qui luy donnoit un honneste pretexte d’y mettre une mouche. Enfin il estoit ajusté de maniere qu’un provincial n’auroit jamais manqué de le prendre pour modelle pour se bien mettre. Mais j’ay ou tort de dire qu’il n’estoit pas reconnoissable : sa mine, son geste, sa contenance et son entretien le faisoient assez connoistre, car il est bien plus difficile d’en changer que de vestement, et toutes ses grimaces et affectations faisoient voir qu’il n’imitoit les gens de la cour qu’en ce qu’ils avoient de deffectueux et de ridicule. C’est ce qu’on peut dire, en passant, qui arrive à tous les imitateurs, en quelque genre que ce soit.

Cet homme donc n’eut pas si-tost jetté les yeux sur Javotte (tel estoit le nom de la demoiselle charitable qui questoit) qu’il en devint fort passionné, chose pour lui fort peu extraordinaire, car c’estoit, à vray dire, un