Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/38

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ment qu’il n’y a personne qui, en vous donnant l’aumosne, ne vous ait en mesme temps donné son cœur. Je ne sçay (repartit Javotte) ce que vous voulez dire de cœurs ; je n’en ay trouvé pas un seul dans ma tasse. J’entends (ajousta Nicodeme) qu’il n’y a personne à qui vous vous soyez arrestée qui, ayant veu tant de beauté, n’ait fait vœu de vous aimer et de vous servir, et qui ne vous ait donné son cœur. En mon particulier, il m’a esté impossible de vous refuser le mien. Javotte luy repartit naïvement : Et bien, Monsieur, si vous me l’avez donné, je vous ay en mesme temps répondu : Dieu vous le rende. Quoy ! (reprit Nicodeme un peu en colère) agissant si serieusement, faut-il se railler de moy ? et faut-il ainsi traitter le plus passionné de tous vos amoureux ? À ce mot, Javotte répondit en rougissant : Monsieur, prenez garde comme vous parlez ; je suis honneste fille : je n’ai point d’amoureux ; maman m’a bien deffendu d’en avoir. Je n’ay rien dit qui vous puisse choquer (repartit Nicodeme), et la passion que j’ay pour vous est toute honneste et toute pure, n’ayant pour but qu’une recherche legitime. C’est donc, Monsieur (repliqua Javotte), que vous me voulez épouser ? Il faut pour cela vous adresser à mon papa et à maman : car aussi bien je ne sçais pas ce qu’ils me veulent donner en mariage. Nous n’en sommes pas encore à ces conditions (reprit Nicodeme) ; il faut que je sois auparavant asseuré de vostre estime, et que je sçache si vous agréerez que j’aye l’honneur de vous servir. Monsieur (dit Javotte), je me sers bien moy-mesme, et je sçais faire tout ce qu’il me faut.

Cette réponse bourgeoise defferra fort ce galand, qui vouloit faire l’amour en stile poly. Asseurément il alloit