Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/43

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table, peut-estre à cause qu’elle n’estoit pas habillée, ou qu’elle faisoit quelque affaire du ménage. Il poussa donc plus loin ses inventions : il fit partie avec Vollichon pour aller jouer à la boule6, qui est le plus grand regale qu’on puisse faire à un procureur, et le plus puissant aimant pour l’attirer hors de son étude. Cela les rendit bientost bons amis, et ce qui y contribua beaucoup, c’est que Nicodeme se laissa d’abord gagner quelque argent ; mais il n’oublioit point de jouer pour la derniere partie un chapon, qui se mangeoit aussi-tost chez le procureur.

Ce fut au quatrième ou cinquième chapon que Nicodeme eust le plaisir de voir sa maistresse à table avec luy ; mais ce plaisir fut de peu de durée, car elle ne parut que long-temps apres que les autres furent assis, et elle se leva sitost qu’on apporta le dessert, apres avoir plié sa serviette et emporté son assiette elle-mesme. Encore durant le repas elle ne profera pas un mot


6. C’étoit le jeu à la mode de ce temps-là, et l’on sait par Louis Racine que Boileau y excelloit. Les procureurs surtout en faisoient leur amusement favori. Furetière en a fait le sujet d’une des satires qu’on a imprimées à la suite du Roman bourgeois, édit. de Nancy, 1713, in-12., p. 319-327. C’est au quai Saint-Bernard que Furetière place la fameuse partie de boules qui remplit sa satire ; mais on sait par Regnard, dans sa comédie du Divorce (prologue), que les joueurs de la bazoche avoient encore d’autres lieux de réunion : « Jupiter. Je me suis amusé en venant à jouer à la boule, aux Petits-Carreaux, contre quatre procureurs, qui ne m’ont laissé que trente sols. — Arlequin. Où diable vous êtes-vous fourré là ? Ces messieurs savent aussi bien rouler le bois que ruiner une famille. »