Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/55

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tiers, ils sont d’ordinaire évaluez au denier six, comme les rentes sur la ville et autres telles denrées ; c’est a dire qu’une fille qui a dix mil escus doit trouver un homme qui en ayt soixante mil, et ainsi à proportion.

Il y en aura encore qui eussent souhaitté que ce tariffe eût esté porté plus avant ; mais cela ne s’est pû faire, n’y ayant au delà que confusion, parce que les filles qui ont au delà de deux cent mille escus sont d’ordinaire des filles de financiers ou de gens d’affaires qui sont venus de la lie du peuple, et de condition servile. Or, elles ne sont pas vendues à l’enchere comme les autres, mais délivrées au rabais ; c’est à dire qu’au lieu qu’une autre fille qui aura trente mille livres de bien est vendue à un homme qui aura un office qui en vaudra deux fois autant, celles-cy, au contraire, qui auront deux cens mille escus de bien, seront livrées à un homme qui en aura la moitié moins ; et elles seront encore trop heureuses de trouver un homme de naissance et de condition qui en veuille.

La seule observation qu’il faut faire, de peur de s’y tromper, est qu’il arrive quelquefois que le merite et la beauté d’une fille la peut faire monter d’une classe, et celle de trente mille livres avoir la fortune d’une de quarante ; mais il n’en est pas de mesme d’un homme, dont le merite et la vertu sont tousjours comptez pour rien. On ne regarde qu’à sa condition et à sa charge, et il ne fait point de fortune en mariage, si ce n’est en des lieux où il trouve beaucoup d’années meslées avec de l’argent, et qu’il achepte le tout en tâche et en bloc.

Mais c’est assez parlé de mariage ; il faut revenir à Lucrece, que je perdois presque de veue. Ses charmes ne la laissoient point manquer de serviteurs. Elle n’a-