Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/72

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trouvé souvent engagé en ces conferences de bagatelles où j’ay veu agiter fort serieusement plusieurs questions tres-ridicules. J’y vis une fois un sot de qualité qu’on avoit pris au collet ; une femme luy dit que son rabat n’estoit pas bien mis, l’autre dit qu’il n’estoit pas bien empesé, et la troisième soûtint que son défaut venoit de l’échancrure ; mais il se deffendit bravement en disant qu’il venoit de la bonne faiseuse, qui prend un escu de façon de la piece. Le rabat fut declaré bien fait au seul nom de cette illustre ; je dis illustre, et ne vous en estonnez pas, car le siecle est si fertile en illustres qu’il y en a qui ont acquis ce titre à faire des mouches. Cette authorité (dit Lucrece) estoit decisive, et la question apres cela n’estoit plus problematique ; aussi il faut demeurer d’accord que le rabat est la plus difficile et la plus importante des pieces de l’adjustement ; que c’est la premiere marque à laquelle on connoist si un homme est bien mis, et qu’on n’y peut employer trop de temps et trop de soins, comme j’ay ouy dire d’une presidente15, qu’elle est une heure entiere à mettre ses manchettes, et elle soûtient publiquement qu’on ne les peut bien mettre en moins de temps. Apres que ce rabat fut bien


15. Il s’agit ici de la présidente Tambonneau : « Une fois, dit Tallemant, elle alla fort ajustée chez la maréchale de Guébriant ; on ne faisoit que de se mettre à table, elle avoit dîné ; la voilà qui commence à lever sa robe, pour montrer sa belle jupe ; qui veut faire admirer comme ses manchettes étoient mises de bon air : car elle croyoit qu’il n’y avoit personne au monde qui les sut mettre comme elle, et même elle se piquoit de les mettre fort promptement, quoique madame Anne, sa duena, fut une heure et demie à les ajuster. » (Historiettes, 2e édit., t. 9, p. 161.)