Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/97

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pour elle ; mais il vous passera bien loin du nez. Je vous trouve bien hardy de venir encore ceans, apres nous avoir voulu affronter. Là, là, ma fille est jeune et ne manquera pas de partis ; nous ne sommes pas des personnes à aller playder à l’officialité pour avoir un gendre. Allez trouver vostre maistresse à qui vous avez promis mariage ; nous ne voulons pas estre cause qu’elle soit dés-honorée. Nicodeme, encore plus estonné, jura qu’il n’avoit aucun engagement qu’avec sa fille. Vrayment (reprit aussi-tost la procureuse), il nous en feroit bien accroire si nous n’avions de quoy le convaincre ; et appelant la servante, elle luy dit : Julienne, allez querir un papier là haut sur le manteau de la cheminée, que je luy fasse voir son bec-jaune. Quand il fut apporté : Tenez (dit-elle), voyez si je parle par cœur ! Nicodeme pensa tomber de son haut en le lisant, car il connoissoit le cœur de Lucrece, et il ne pouvoit concevoir qu’une si fiere personne voulust playder à l’officialité pour avoir un mary. Il sçavoit qu’elle n’avoit receu la promesse qu’en riant et sans fonder sur cela aucune esperance ny dessein de mariage ; aussi n’en avoit-elle point parlé depuis, de sorte qu’il s’imagina que cela n’estoit point fait par son ordre ; il dit donc à sa belle mere : Voilà une piece que quelque ennemy me jouë ; s’il ne tient qu’à cela, je vous apporte dès demain une main-levée de cette opposition pardevant notaires.

Je n’ay que faire (répondit-elle) de notaires ni d’advocats ; je ne veux point donner ma fille à ces débauchez et à ces amoureux des onze mille vierges. Je veux un homme qui soit bon mary et qui gagne bien sa vie.

Nicodeme, qui ne trouvoit pas là grande satisfaction, d’ailleurs impatient de sçavoir la cause de cette broüil-