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LIVRE III. LA CITÉ.

pas croire qu’il n’y eût qu’un dieu. On comptait des milliers de Jupiters différents ; il y avait une multitude de Minerves, de Dianes, de Junons qui se ressemblaient fort peu.

Chacune de ces conceptions s’étant formée par le travail libre de chaque esprit et étant en quelque sorte sa propriété, il arriva que ces dieux furent longtemps indépendants les uns des autres, et que chacun d’eux eut sa légende particulière et son culte.

Comme la première apparition de ces croyances est d’une époque où les hommes vivaient encore dans l’état de famille, ces dieux nouveaux eurent d’abord, comme les démons, les héros et les lares, le caractère de divinités domestiques. Chaque famille s’était fait ses dieux, et chacune les gardait pour soi, comme des protecteurs dont elle ne voulait pas partager les bonnes grâces avec des étrangers. C’est là une pensée qui apparaît fréquemment dans les hymnes des Védas ; et il n’y a pas de doute qu’elle n’ait été aussi dans l’esprit des Aryas de l’Occident ; car elle a laissé des traces visibles dans leur religion. À mesure qu’une famille avait, en personnifiant un agent physique, créé un dieu, elle l’associait à son foyer, le comptait parmi ses pénates et ajoutait quelques mots pour lui à sa formule de prière. C’est pour cela que l’on rencontre souvent chez les anciens des expressions comme celles-ci : les dieux qui siégent près de mon foyer, le Jupiter de mon foyer, l’Apollon de mes pères[1]. « Je te conjure, dit Tecmesse à Ajax, au nom du Jupiter qui siége près de ton foyer. » Médée la magicienne dit dans Euripide : « Je jure par Hécate, ma déesse maî-

  1. ἑστιοῦχοι, ἑφέστιοι, πατρῷοι, ὁ ἐμος Ζεὺς, Euripide, Hécub., 345 ; id., Médée, 395. Sophocle, Ajax, 492. Virgile, VIII, 543. Hérodote, I, 44.