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Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/265

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CH. XIII. LE PATRIOTISME. L’EXIL.

La patrie tient l’homme attaché par un lien sacré. Il faut l’aimer comme on aime une religion, lui obéir comme on obéit à Dieu. « Il faut se donner à elle tout entier, mettre tout en elle, lui vouer tout. » Il faut l’aimer glorieuse ou obscure, prospère ou malheureuse. Il faut l’aimer dans ses bienfaits et l’aimer encore dans ses rigueurs. Socrate condamné par elle sans raison ne doit pas moins l’aimer. Il faut l’aimer, comme Abraham aimait son Dieu, jusqu’à lui sacrifier son fils. Il faut surtout savoir mourir pour elle. Le Grec ou le Romain ne meurt guère par dévouement à un homme ou par point d’honneur ; mais à la patrie il doit sa vie. Car si la patrie est attaquée, c’est sa religion qu’on attaque. Il combat véritablement pour ses autels, pour ses foyers, pro aris et focis ; car si l’ennemi s’empare de sa ville, ses autels seront renversés, ses foyers éteints, ses tombeaux profanés, ses dieux détruits, son culte effacé. L’amour de la patrie, c’est la piété des anciens.

Il fallait que la possession de la patrie fût bien précieuse ; car les anciens n’imaginaient guère de châtiment plus cruel que d’en priver l’homme. La punition ordinaire des grands crimes était l’exil.

L’exil était proprement l’interdiction du culte. Exiler un homme, c’était, suivant la formule également usitée chez les Grecs et chez les Romains, lui interdire le feu et l’eau[1]. Par ce feu, il faut entendre le feu sacré du foyer ; par cette eau, l’eau lustrale qui servait aux sacrifices. L’exil mettait donc un homme hors de la religion. « Qu’il fuie, disait la sentence, et qu’il n’approche jamais des temples. Que nul citoyen ne lui parle ni ne le reçoive ;

  1. Hérodote, VII, 231. Cratinus, dans Athénée, XI, 3. Cic., Pro domo, 20. Tite-Live, XXV, 4. Ulpien, X, 3.