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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

protection. Ceux qui souffrirent du changement furent les chefs des familles, les chefs des bourgades et des tribus, les βασιλεῖς, les φυλοβασιλεῖς, ces eupatrides qui avaient par droit héréditaire l’autorité suprême dans leur γένος ou dans leur tribu. Ils défendirent de leur mieux leur indépendance ; perdue, ils la regrettèrent.

Du moins retinrent-ils tout ce qu’ils purent de leur ancienne autorité. Chacun d’eux resta le chef tout-puissant de sa tribu ou de son γένος. Thésée ne put pas détruire une autorité que la religion avait établie et qu’elle rendait inviolable. Il y a plus. Si l’on examine les traditions qui sont relatives à cette époque, on voit que ces puissants eupatrides ne consentirent à s’associer pour former une cité qu’en stipulant que le gouvernement serait réellement fédératif et que chacun d’eux y aurait part. Il y eut bien un roi suprême ; mais dès que les intérêts communs étaient en jeu, l’assemblée des chefs devait être convoquée et rien d’important ne pouvait être fait qu’avec l’assentiment de cette sorte de Sénat.

Ces traditions, dans le langage des générations suivantes, s’exprimaient à peu près ainsi : Thésée a changé le gouvernement d’Athènes et de monarchique il l’a rendu républicain. Ainsi parlent Aristote, Isocrate, Démosthènes, Plutarque. Sous cette forme un peu mensongère il y a un fonds vrai. Thésée a bien, comme dit la tradition, « remis l’autorité souveraine entre les mains du peuple. » Seulement, le mot peuple, δῆμος, que la tradition a conservé, n’avait pas au temps de Thésée une application aussi étendue que celle qu’il a eue au temps de Démosthènes. Ce δῆμος ou corps politique n’était certainement alors que l’aristocratie, c’est-à-dire l’ensemble des chefs des γένη.