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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

société humaine sans qu’il en parût rien à la surface, et qui restaient inaperçues des générations mêmes qui y travaillaient. L’histoire ne peut les saisir que fort longtemps après qu’elles sont achevées, lorsqu’en comparant deux époques de la vie d’un peuple elle constate entre elles de si grandes différences qu’il devient évident que, dans l’intervalle qui les sépare, une grande révolution s’est accomplie.

Si l’on s’en rapportait au tableau que les écrivains nous tracent de la clientèle primitive à Rome, ce serait vraiment une institution de l’âge d’or. Qu’y a-t-il de plus humain que ce patron qui défend son client en justice, qui le soutient de son argent s’il est pauvre, et qui pourvoit à l’éducation de ses enfants ? Qu’y a-t-il de plus touchant que ce client qui soutient à son tour le patron tombé dans la misère, qui paie ses dettes, qui donne tout ce qu’il a pour fournir sa rançon ? Mais il n’y a pas tant de sentiment dans les lois des anciens peuples. L’affection désintéressée et le dévouement ne furent jamais des institutions. Il faut nous faire une autre idée de la clientèle et du patronage.

Ce que nous savons avec le plus de certitude sur le client, c’est qu’il ne peut pas se séparer du patron ni en choisir un autre, et qu’il est attaché de père en fils à une famille. Ne saurions-nous que cela, ce serait assez pour croire que sa condition ne devait pas être très-douce. Ajoutons que le client n’est pas propriétaire du sol ; la terre appartient au patron qui, comme chef d’un culte domestique et aussi comme membre d’une cité, a seul qualité pour être propriétaire. Si le client cultive le sol, c’est au nom et au profit du maître. Il n’a même pas la propriété des objets mobiliers, de son argent, de