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CH. VI. LES CLIENTS S’AFFRANCHISSENT.

ses emportements et ses caprices, où le serviteur le plus résigné avait ses rancunes, ses gémissements et ses colères. Ulysse est un bon maître : voyez quelle affection paternelle il porte à Eumée et à Philætios. Mais il fait mettre à mort un serviteur qui l’a insulté sans le reconnaître, et des servantes qui sont tombées dans le mal auquel son absence même les a exposées. De la mort des prétendants il est responsable vis-à-vis de la cité ; mais de la mort des serviteurs personne ne lui demande compte.

Dans l’état d’isolement où la famille avait longtemps vécu, la clientèle avait pu se former et se maintenir. La religion domestique était alors toute-puissante sur l’âme. L’homme qui en était le prêtre par droit héréditaire, apparaissait aux classes inférieures comme un être sacré. Plus qu’un homme, il était l’intermédiaire entre les hommes et Dieu. De sa bouche sortait la prière puissante, la formule irrésistible qui attirait la faveur ou la colère de la divinité. Devant une telle force il fallait s’incliner ; l’obéissance était commandée par la foi et la religion. D’ailleurs comment le client aurait-il eu la tentation de s’affranchir ? Il ne voyait pas d’autre horizon que cette famille à laquelle tout l’attachait. En elle seule il trouvait une vie calme, une subsistance assurée ; en elle seule, s’il avait un maître, il avait aussi un protecteur ; en elle seule enfin il trouvait un autel dont il pût approcher, et des dieux qu’il lui fût permis d’invoquer. Quitter cette famille, c’était se placer en dehors de toute organisation sociale et de tout droit ; c’était perdre ses dieux et renoncer au droit de prier.

Mais la cité étant fondée, les clients des différentes familles pouvaient se voir, se parler, se communiquer