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CH. VII. LA PLÈBE ENTRE DANS LA CITÉ.

dans Mégare, sa patrie, il y a deux sortes d’hommes. Il appelle l’une la classe des bons, ἀγαθοί ; c’est en effet le nom qu’elle se donnait dans la plupart des villes grecques. Il appelle l’autre la classe des mauvais, κακοί ; c’est encore de ce nom qu’il était d’usage de désigner la classe inférieure. Cette classe, le poëte nous décrit sa condition ancienne : « Elle ne connaissait autrefois ni les tribunaux ni les lois ; » c’est assez dire qu’elle n’avait pas le droit de cité. Il n’était même pas permis à ces hommes d’approcher de la ville ; « ils vivaient en dehors comme des bêtes sauvages. » Ils n’assistaient pas aux repas religieux ; ils n’avaient pas le droit de se marier dans les familles des bons.

Mais que tout cela est changé ! Les rangs ont été bouleversés, « les mauvais ont été mis au-dessus des bons. » La justice est troublée ; les antiques lois ne sont plus, et des lois d’une nouveauté étrange les ont remplacées. La richesse est devenue l’unique objet des désirs des hommes, parce qu’elle donne la puissance. L’homme de race noble épouse la fille du riche plébéien et le « mariage confond les races. »

Théognis, qui sort d’une famille aristocratique, a vainement essayé de résister au cours des choses. Condamné à l’exil, dépouillé de ses biens, il n’a plus que ses vers pour protester et pour combattre. Mais s’il n’espère pas le succès, du moins il ne doute pas de la justice de sa cause ; il accepte la défaite, mais il garde le sentiment de son droit. À ses yeux, la révolution qui s’est faite est un mal moral, un crime. Fils de l’aristocratie, il lui semble que cette révolution n’a pour elle ni la justice ni les dieux et qu’elle porte atteinte à la religion. « Les dieux, dit-il, ont quitté la terre ; nul ne les