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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

de la guerre avait transportée à Rome sans lui enlever la richesse ni ce sentiment de dignité qui d’ordinaire l’accompagne. Quelquefois aussi le plébéien avait pu s’enrichir par son travail, surtout au temps des rois. Lorsque Servius avait partagé la population en classes d’après la fortune, quelques plébéiens étaient entrés dans la première. Le patriciat n’avait pas osé ou n’avait pas pu abolir cette division en classes. Il ne manquait donc pas de plébéiens qui combattaient à côté des patriciens dans les premiers rangs de la légion et qui votaient avec eux dans les premières centuries.

Cette classe riche, fière, prudente aussi, qui ne pouvait pas se plaire aux troubles et devait les redouter, qui avait beaucoup à perdre si Rome tombait, et beaucoup à gagner si elle s’élevait, fut un intermédiaire naturel entre les deux ordres ennemis.

Il ne paraît pas que la plèbe ait éprouvé aucune répugnance à voir s’établir en elle les distinctions de la richesse. Trente-six ans après la création du tribunat, le nombre des tribuns fut porté à dix, afin qu’il y en eût deux de chacune des cinq classes. La plèbe acceptait donc et tenait à conserver la division que Servius avait établie. Et même la partie pauvre, qui n’était pas comprise dans les classes, ne faisait entendre aucune réclamation ; elle laissait aux plus aisés leur privilége, et n’exigeait pas qu’on choisît aussi chez elle des tribuns.

Quant aux patriciens, ils s’effrayaient peu de cette importance que prenait la richesse. Car ils étaient riches aussi. Plus sages ou plus heureux que les eupatrides d’Athènes, qui tombèrent dans le néant le jour où la direction de la société appartint à la richesse, les patriciens ne négligèrent jamais ni l’agriculture ni le com-