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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

la tyrannie de combattre l’aristocratie. » « Le moyen d’arriver à la tyrannie, dit-il encore, c’est de gagner la confiance de la foule ; or on gagne sa confiance en se déclarant l’ennemi des riches. Ainsi firent Pisistrate à Athènes, Théagène à Mégare, Denys à Syracuse[1]. »

Le tyran fait toujours la guerre aux riches. À Mégare, Théagène surprend dans la campagne les troupeaux des riches et les égorge. À Cumes, Aristodème abolit les dettes, et enlève les terres aux riches pour les donner aux pauvres. Ainsi font Nicoclès à Sicyone, Aristomaque à Argos. Tous ces tyrans nous sont représentés par les écrivains comme très-cruels ; il n’est pas probable qu’ils le fussent tous par nature ; mais ils l’étaient par la nécessité pressante où ils se trouvaient de donner des terres ou de l’argent aux pauvres. Ils ne pouvaient se maintenir au pouvoir qu’autant qu’ils satisfaisaient les convoitises de la foule et qu’ils entretenaient ses passions.

Le tyran de ces cités grecques est un personnage dont rien aujourd’hui ne peut nous donner une idée. C’est un homme qui vit au milieu de ses sujets, sans intermédiaire et sans ministres, et qui les frappe directement. Il n’est pas dans cette position élevée et indépendante où est le souverain d’un grand État. Il a toutes les petites passions de l’homme privé ; il n’est pas insensible aux profits d’une confiscation ; il est accessible à la colère et au désir de la vengeance personnelle ; il a peur ; il sait qu’il a des ennemis tout près de lui et que l’opinion publique approuve l’assassinat, quand c’est un tyran qui est frappé. On devine ce que peut être le gouvernement

  1. Aristote, Pol., V, 8 ; VIII, 4, 5 ; V, 4.